
Armand Labbé nous offre ses écrits rassemblés dans un recueil intitulé Sur l’air du temps. Ses poèmes et chansons reflètent bien sa Gaspésie natale et sauront vous bercer le cœur. Au fil des mois, nous aurons le plaisir de vous offrir des textes parmi ce recueil dont les thèmes de prédilection sont le temps, l’amour, l’amitié, l’humanité...
Table des matières
Partons, la mer est belle¹

De gauche à droite, Isabelle Donohue,
Réal et Armand Labbé, Roméo Labbé
Partons, la mer est belle
Comment ne pas la croire
La marée est fidèle
Emportons des histoires
Que racontait ma mère
En attendant mon père
Parti la veille à voile
Guidé par une étoile
La pêche est un métier
D’eau de mer en ses veines
La pêche est un métier
De chance et de déveine
Partons, la mer est belle
Cap au banc de Miscou
Rêvons à l’hirondelle
À voir plonger les fous²
La vague est lente et longue
Et la barge est berceuse
La lune est ronde et blonde
Dans la nuit qui se creuse
La pêche est un métier
Qui vaut souvent sa peine
La pêche est un métier
De huit jours la semaine
Ancrons, la mer est belle
Déroulons les filets
Sainte Anne au loin qui veille
Va calmer le nordet
Le soleil qui se lève
Ressemble à un clin d’œil
Et dans l’aube qu’il crève
Il est de bon conseil
La pêche est un métier
De vent et de misaine
La pêche est un métier
Qui promet la neuvaine
Rentrons, la mer est belle
La pêche a été bonne
Le courant sous son aile
A du temps qu’il nous donne
Un air du soir qui plane
Vient se mirer dans l’eau
Un goéland qui flâne
Prédit qu’il fera beau
À chaque jour de pêche
Et pendant trois saisons
Non, rien ne nous empêche
D’entonner la chanson
Partons, la mer est belle
Comment ne pas la croire
La marée est fidèle
Emportons des histoires
Que racontait ma mère
En attendant mon père
Parti la veille à voile
Guidé par une étoile
Vidéo maison de la chanson Partons la mer est belle
¹ À mon père, Roméo, qui a pêché pendant 22 ans, à la rame, à la voile, à moteur Acadia, entre 1930 et 1955.
À ma mère qui l’a attendu si souvent, en scrutant l’horizon…
À mon frère, Réal, parti le 25 mars 2002, tragiquement, vers les mers éternelles
² Les fous de Bassan
Eurêka!¹
Eurêka!
Pour nous, c’est la fin d’un voyage
Huit ans d’études en nos bagages
Eurêka!
Un nouveau chemin se dessine à l’horizon
L’avenir est notre destination
Il y a eu des jours heureux
Comme une amitié retrouvée
De longs jours nostalgiques
Couronnés d’arcs-en-ciel
Devenus un peu plus vieux
Nous avons vu changer
Nos rêves chimériques
Et nos tours de Babel
Eurêka!
C’est le soir de la grande aventure
Nous voilà conquérants, regardez notre allure
Eurêka!
C’est l’aube de nouvelles saisons
Avec nos souvenirs, précieuse cargaison
Les doigts givrés du vent
Polissant les étoiles
Nous ont montré souvent
La vie sans son grand voile
Le soleil a posé
Sa main sur notre épaule
Il nous a dit:
« Allez! Choisissez votre pôle! »
Eurêka!
Nous levons l’ancre vers un nouveau port
Il peut toujours venter à tribord, à bâbord
Eurêka!
Voici larguées toutes les amarres
Voici huit matelots, aux voiles et à la barre
Congés, concours, études
Départs aussi retours
Matins, rêves, inquiétudes
De doux et mauvais jours
Nous ne regrettons pas
Non! le plus difficile
Et nos joies infantiles
Non! ne s’évaluent pas
Eurêka!
Il souffle le vent de notre conquête
C’est la grande fête qui nous tourne la tête
Eurêka!
Que chantent et que dansent nos instants les
plus sombres
Ces huit années nous gardent de leur ombre
Avec tambours et fanfare
Avec fanions et bannières
Tout comme le grand phare
Criant son jet de lumière
Comme on voudrait clamer
Par-delà l’univers
Ce long combat gagné
Le printemps de nos hivers
Eurêka!
Le soleil nous sourit dans un beau crépuscule
Il nous regarde aller vers un haut monticule
Eurêka!
Le grand rêve, le voilà transformé
En un jour étonné de la réalité
Merci! beaucoup, Maman, merci ! beaucoup, Papa
Nous essayerons de suivre votre pas
Vous avez tout donné pour nous
Et sans jamais penser à vous
Merci! à vous, éducateurs
Merci! d’avoir été grandeurs
Dévoués maîtres et très chers parents
Merci! Merci! jusqu’à la fin des temps!
Eurêka!
Pour nous, c’est la fin d’un voyage
Huit ans d’études en nos bagages
Eurêka!
Un nouveau chemin se dessine à l’horizon
L’avenir est notre destination
¹ À mes compagnons du Séminaire de Gaspé, de 1957 à 1964. (Juin 1964)
Un automne à Percé
Quand l’été va finir
Bronzé de souvenirs
Par un après-midi
Au ciel de Gaspésie
Toi, tu vas revenir
Pour ne plus repartir
Et nous allons rester
Tout l’automne à Percé
L’automne est la saison
Au clair de ma chanson
Restons plusieurs demains
Car Percé le sait bien
Quand les fous de Bassan
De leur île hors du temps
Survoleront la mer
Sachant venir l’hiver
Nous, nous resterons là
L’automne entre les bras
L’automne est la saison
Au clair de ma chanson
Percé le chante bien
Restons dans son refrain
Et quand tous les bateaux
Auront tracé dans l’eau
Un tout dernier sillage
Pour gagner le rivage
Nous, nous aurons compris
Que l’automne a un prix
Celui de nous donner
Ses beaux jours à Percé
L’automne est la saison
Au clair de ma chanson
L’automne est de parole
Qui jamais ne s’envole
Enfin, lorsque la lune
Par un soir de fortune
Annoncera décembre
Juste avant de descendre
Là, nous irons bercer
Notre automne à Percé
Puis il va s’engourdir
Quand l’hiver va frémir
L’automne est la saison
Au clair de ma chanson
Ah! s’il pouvait durer
Tant qu’on peut le chanter…
Si nous quittons Percé
Pour mieux nous ennuyer
Alors nous rêverons
À ses autres saisons
La mentrité
(Chanson)
Par un beau soir, mon père a dit
Tu vas savoir mes vraies ment’ries
T’es assez vieux pour les conter
Disant que c’est la vérité
Ça va causer des commérages
Icitte et là dans le village
Pour les gens qui n’ont rien à faire
C’est parfait les paroles en l’air
La vérité, ça fait mentir
Et la ment’rie, ça fait sourire
Si tu dis vrai, là on t’en veut
Mais si tu mens, ce n’est pas mieux
Tu sais d’où il vient le grand trou
Dans le Rocher de par chez nous
Qui fait courir tant de touristes
Qui fait se pâmer les artistes
C’est ton ancêtre en un galion
Qui a tiré de son canon
Pour couler Wolfe et son armée
Alors le Rocher a crevé
La vérité, c’est un quadrille
Que l’on dansait dans le bon temps
Et la ment’rie, c’est le gogo
Qui fait oublier le tango
Parlons un peu de la Crevasse
Ce vieux mont fendu dans la face
C’est la vraie place où les amants
Se promettent et pour très longtemps
C’est ton aïeul en février
Et moi le premier je l’ai su
Quand la montagne était gelée
D’un coup de hache, il l’a fendue
La vérité, c’est quand le vent
Veut annoncer du méchant temps
Mais la ment’rie, c’est la radio
Qui nous prédit qu’il fera beau
À propos du pic de l’Aurore
Qui n’a jamais perdu le nord
Savais-tu qu’un arrière-grand-père
L’avait traîné un jour d’hiver?
Il était là, dedans son champ
Il lui nuisait terriblement
Un matin il a attelé
Et la roche a déménagé
La vérité, c’est deux beaux vieux
Qui se bercent à quatre-vingt-deux
Mais la ment’rie, c’est une actrice
Qui a maquillé ses yeux tristes
J’ai su aussi que le ruisseau
Qui chante à plein dans le coteau
Appartiendrait au vieux Antoine
Qui avait perdu ses deux femmes
Il s’était fait creuser un puits
Pour aller pleurer son ennui
Un printemps, il a débordé
Le ruisseau s’est mis à couler
La vérité, c’est la marée
Qui va descendre et puis monter
Mais la ment’rie, c’est le ciment
Cachant la plage à nos enfants
Et tu sauras que la grosse île
Qui fait bien jaser même en ville
N’est pas là depuis l’oncle Adam
Que ça fait pas très, très longtemps
C’est quelqu’un de la parenté
Un peu pour se désennuyer
Un soir en revenant du large
Il l’a touée avec sa barge
La vérité, c’est un conteur
Qui raconte et nous fait des peurs
Mais la ment’rie, c’est la télé
Où tout le monde est maquillé
Et savais-tu que l’oncle Élie
Avait grimpé un arc-en-ciel
Voulait y pêcher de la pluie
Pour attirer des mouches à miel
L’arc-en-ciel est tombé à l’eau
Et l’oncle a fait un sacré saut
Est resté les quat’ fers en l’air
Quelque part entre ciel et terre
La vérité, c’est un nuage
Qui va nous péter un orage
La ment’rie, c’est la météo
Nous annonçant qu’il fera beau
Les ment’ries que je t’ai contées
Sont plus vraies que la vérité
Si je t’ai caché quelque chose
Dis-le-moi ce soir si tu oses
Avant de parler comme on doit
Faut tourner sa langue et sept fois
Le silence est d’or on le dit
La parole est d’argent terni
La vérité, c’est la ment’rie
La ment’rie, c’est la vérité
Si je dis vrai, je t’ai menti
Et si je mens, t’as deviné!
Féerie des Fêtes
Quand la féerie
Du temps des Fêtes
Devient furie
Qui perd la tête
On perd le pas
Dans la course
Aux achats
C’est la fièvre
Contagieuse
Fièvre affreuse
Fièvre ach’teuse!
On débourse
À crédit
On rembourse
Au débit
Et la fée
Dégueulasse
Assoiffée
De la piasse
A fouetté
Ses lutins
Affamés
De butin
Les enfants
Et les grands
C’est Noël
Jour de l’An
Des bébelles
Am’nez-en!
Et l’on ressort
Le bon folklore
La p’tite jument
Awouignahan!
Et la bastringue
Dedans la dinde
Le sapin
De cadeaux
Boulimique
N’a plus faim…
Mais ses rots
Sont magiques!
Les odeurs
De tout type
Les ferveurs
Symboliques
Les souhaits
Éthyliques
Les regrets
Pathétiques
Les souhaits
Chimériques
Le P’tit Jésus
Est revenu
Minuit, chrétiens
Verre à la main
Iglou! Iglou!
Gin, mon minou!
Et tiguidou
Rye trou! Rye trou!
Papa Noël
Venu du ciel
Mary Crissemasse
Venue des glaces
À l’an prochain
Pour le refrain
Même au pareil
Du lendemain
De l’avant-veille
Joyeux Noël
Peuple infidèle?
Tant que...
Tant qu’il y aura des chansons
Où pouvoir semer des je t’aime
Nous aurons des horizons
Où s’engloutira la haine
Tant qu’il y aura des chansons
Où se cacheront nos rêves
Nous sifflerons, danserons
Et les pieds nus sur la grève
Des chansons en canon
Des chansons de frisson
Tant qu’il y aura des saisons
Pour dérouler nos semaines
Oui, nous nous rappellerons
Tous ces beaux soirs qu’elles amènent
Tant qu’il y aura des saisons
C’est sûr nous ferons ensemble
La corvée à l’unisson
Du partage qui nous rassemble
Des saisons, un violon
Des saisons, un cotillon
Tant qu’il y aura des enfants
Pour déjouer la routine
Qu’ils crieront « Papa! Maman! »
Sous les parfums de la cuisine
Tant qu’il y aura des enfants
Pour éclairer l’innocence
Nous nous créerons des instants
Noyant l’indifférence
Des enfants, des bonheurs
Des enfants, des tits cœurs
Tant qu’il y aura de l’amour
Qu’on en mettra sur la table
Il y en aura tous les jours
Aux étrangers, nos semblables
Tant qu’il y aura de l’amour
Dans les bras de la chance
Nous serons des troubadours
Pour soigner la souffrance
De l’amour, à ton tour
De l’amour, à mon tour
Tant qu’il y aura de l’argent
Pour nourrir ses habitudes
L’être humain n’aura pas le temps
D’habiter sa solitude
Tant qu’il y aura de l’argent
Pour nourrir des regards anonymes
L’être humain, lui, perdra son temps
À vouloir qu’on le surestime
De l’argent, s’il t’en manque
De l’argent, fuis les banques
Tant qu’il y aura des matins
Pour flâner sur un banc de brume
Et cueillir, là, à deux mains
Le dernier rayon de lune
Tant qu’il y aura des matins
Qui luiront dans la rosée
Nous aurons, oui, c’est certain
Des cauchemars à oublier
Des matins, en refrain
Des matins, à demain
Un jour...
Quand nous serons vieux
Qu’aurons-nous de mieux
Que de vivre heureux?
Nous aurons vécu
Le meilleur, le pire
Nous aurons connu
Des joies, des soupirs
Il aura fallu
Plus que des ouï-dire
Pour croire au bonheur
D’un amour sans heurts
Loin du coup de foudre
Qui sonne et qui soude
Restera, fidèle
La douceur de l’aile
De nos souvenirs
Les jours à venir
Pourront se surprendre
De nous voir si tendres
En fuyant les modes
Leur culte et leurs codes
Nous aurons gardé
La simplicité
Qui noie l’illusion
Ce noir puits sans fond
Quand nous serons vieux
Encore amoureux
Après tant d’années
Sans avoir triché…
Sans avoir fait semblant
De dormir en amants
Nous aurons laissé
À tous les guindés
À tous les mondains
Leurs gris lendemains
Nous leur aurons laissé
Tous leurs jours de parade
Le verbe et les tirades
De personnages huppés
Quand nous serons vieux
Qu’aurons-nous de mieux
Que la vie à deux?
Quand serons-nous vieux…
Combien de matins
Avant ce demain?
Il n’est pas si loin…
Mais viendra la femme
(chanson)
L’hiver appareille
Au grand vent d’automne
Emportant le vol du dernier goéland
Ton été sommeille
Tes amours s’étonnent
Tes matins s’étirent un peu plus tard qu’avant
Mais viendra la femme
Faire un printemps de ton automne
Mais viendra la femme
Qui te dira : « C’est toi mon homme! »
Les jours de l’ennui
Longue est la semaine
Le fil de l’oubli nous tisse un monde en gris
Et la nostalgie
Promène en nos veines
Lueurs d’horizon
Que le brouillard ternit
Mais viendra la femme
Avec au coeur les mots : « Je t’aime! »
Mais viendra la femme
Bercer tes amours et tes peines
Tu étais dans l’anse
De tes habitudes
Voguait sur la mer le voilier de sa voix
Et ton jour de chance
Et ta certitude
Plantent un drapeau blanc sur de sombres autrefois
Mais viendra la femme
Qui pareille à la fée des grèves
Mais viendra la femme
T’emporter plus loin que tes rêves
Quand tes amours mortes
Auront perdu l’âme
Sur l’écueil usé qui là rendra les armes
S’ouvrira la porte
D’un destin que dame!
Qui te promettra des jours qui nous transportent
Et viendra la femme
Faire un printemps de ton automne
Et viendra la femme
Qui te dira : « C’est toi mon homme! »
D’ici là…
Dans cinquante ou cent ans
Que diront nos enfants
Si nous ne changeons pas
De cap et de compas?
Nous n’allons nulle part
Où nous arriverons
Pressés et en retard
Les yeux sans horizon
Plus nous changeons, changeons
Plus c’est presque pareil
Essor puis reculons
Nous changeons de corbeille
Nous dormons, nous rêvons
Étonnés au réveil
D’effacer les questions
Que nous posions la veille
Dans cinquante ou cent ans
Serons-nous si contents
Que dans notre héritage
Y’avait que des bagages?
Emporter en partant
Ce que l’on a donné
Voilà un testament
Bien facile à signer
Plus nous changeons, changeons
Plus c’est presque pareil
L’oubli a ses filons
De bien mauvais conseils
Nous allons oubliant
Les leçons de nos pères
Nous allons délaissant
L’idéal de nos mères
Dans cinquante ou cent ans
Qu’en sera-t-il du vent
Que l’on aura troqué
Pour des dollars usés?
On a volé nos terres
Hypothéqué la mer
Exilé nos talents
Exploité nos enfants
Plus nous changeons, changeons
Plus c’est presque pareil
Le statu quo sent bon
Dans un demi-sommeil
Le clan des satisfaits
S’y complaît, s’il vous plaît
L’union du pas-si-pire
Attend sans un soupir
Dans cinquante ou cent ans
Ce n’est pas si longtemps
Que dira donc l’Histoire
Des matins et des soirs
Que l’on aura jetés
À des futilités?
Sans oublier nos nuits
Meublées de faux ennuis
Plus nous changeons, changeons
Plus c’est presque pareil
Nous faisons du salon
Cois, voyeurs de nouvelles
Quand revient un printemps
Et qu’il n’invente rien
Alors il est grand temps
De s’inventer le sien
Sur l’air du temps
Sur l’air du temps
Va la chanson
De nos saisons
De brises en vents
Vents de campagne
Ou vents de ville
Choeurs aux voix douces et bien tranquilles
Dans le chemin ou la montagne
Sur l’air du temps
Qu’on veut prédire
Quand le vent vire
Au firmament
Le temps de l’air
Vient comme un chant
Chant d’un moment
Ou séculaire
Sur l’air du temps
File un refrain
Bonheur, chagrin
S’accommodant
Mots de fortune
Au clair de lune
Mots en bouteille
En plein soleil
Sur l’air du temps
Les mots voyagent
En écrivant
La clé des âges
De notes en jours
Aux alentours
Ils cherchent un sens
À l’existence
Sur l’air du temps
La mélodie
De neige ou pluie
Si tu l’entends
Tu la respires
Si tu l’attends
Vienne un zéphyr
Pour te la dire
Un alizée
Pour la chanter
Ou brise au nord
Qui siffle encore
Sur l’air du temps
Et de son cours
Dans ses instants
Qui vont, qui courent
Les faits, les gestes
Et les mots restent
Mais les paroles
Au loin s’envolent…