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Laurette Lacroix nous fait pénétrer dans son univers de jeune fille et de jeune mère dans une ferme à Dufresne au Manitoba il y a près d'un siècle. C'est à titre posthume que nous publions ses récits de vie gracieusement offerts par ses trois filles : Gisèle, Nicole et Huguette.

TABLE DES MATIÈRES

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Laurette Lacroix a fait ses études après l'application de la Loi sur les écoles du Manitoba qui abolissait le français comme langue officielle, et après que l’enseignement public en toute autre langue que l’anglais y soit interdit. Malgré tous ces efforts d’assimilation des francophones, Laurette réussit non seulement à conserver son français, mais à coucher sur papier des anecdotes sur sa vie à la ferme lorsqu’elle était jeune fille et jeune mère. C’est à titre posthume que nous publions ses écrits.

Le fameux escalier​

Durant mon enfance, à l’âge d’environ 9 ans, je me souviens avoir envié les familles dont la maison possédait deux escaliers. Chez-nous, il n’y en avait qu’un, toujours très propre, car maman n’aimait pas qu’on y circule avec nos chaussures.

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Les enfants jouaient toujours là, assis sur les marches avec leurs jouets. C’était mieux que sur le vieux plancher, et les tables étaient souvent soit utilisées par les plus grands ou par maman qui y cousait ou préparait les repas.

Ma marche favorite était la troisième, car là je pouvais voir dehors. J’avais mes livres pour colorer et mon minou sur les

genoux. L’hiver, il léchait un petit rond dans la vitre de la fenêtre pour voir dehors. Il s’y trouvait toujours des oiseaux mangeant les miettes qu’on leur jetait. Le minou aurait bien voulu sortir par son petit rond de vitre claire. La seule chose qu’il pouvait faire était de pousser ses griffes dans la manche de mon chandail.

 

S’il arrivait de la visite avec des enfants, souvent eux aussi choisis-saient chacun une marche pour y faire des dessins. Les parents, eux, avaient besoin des tables pour jouer aux cartes, et prendre un verre de vin ou une tasse de café.

À l’heure du dîner, les parents faisaient toujours de la place à la table.

Parfois, les familles étaient si nombreuses qu’on aurait eu besoin de trois escaliers. L’été, tout était plus facile, car nous avions une grande véranda et une grande cour. C’était facile de s’amuser. On jouait à la cachette, à la balle… et le soir, on courrait dans les champs pour attraper des mouches à feu. Il fallait faire attention de ne pas s’enfarger sur les vaches couchées dans la noirceur. Après une heure, on avait plusieurs mouches. On s’asseyait sur la clôture du porche, et, les garçons surtout, prenait la partie arrière de la mouche et pour quelques secondes pouvaient écrire avec un petit morceau de bois, avec la lumière. Aujourd’hui, on dirait que l’on torturait ces pauvres lucioles. 
 

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Les dimanches en famille

Partie un

Lorsque nous étions enfants sur la ferme, nous aimions bien nos petites routines de tous les jours. On prenait notre temps pour déguster notre petit déjeuner de gruau, de rôties ou de crêpes. Mais, le matin du dimanche, il fallait se lever de bonne heure, se laver et s’habiller dans nos plus beaux vêtements. Rien à manger ni à boire. Il ne fallait pas oublier nos chapelets et nos mouchoirs. 

Pour se rendre à l’église, il fallait faire plusieurs kilomètres en voiture. Alors, ce n’était pas surprenant que durant la messe, nos intestins se révoltaient du changement et faisaient des bruits forts, tout comme ceux des autres enfants. On prétendait que ça ne venait pas de nous. Il y avait tant d’arômes en entrant dans l’église : encens, parfum, etc., mais le pire, c’était la senteur de tabac, car les papas en avaient profité pour fumer avant d’entrer. Non seulement les papas, mais aussi M. le Curé bien assis dans son confessionnal pour bien pardonner tous les péchés et soulager ceux qui avaient la conscience troublée.

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Histoire de la paroisse Sainte-Anne-des-Chênes, 1876 – 1976, p. 30b, Comité historique du Centenaire, 1976

Bon! La messe commence. Si on n’est pas assez grand, on voit juste le dos du prêtre et ceux des paroissiens. Toujours appréciées, d’abord, sont les peintures aux plafonds et aux murs, qui sont encore là aujourd’hui. La grande partie de la messe est en latin, donc on dit « Amen » quand nos parents le disent. Quand arrive la communion, tu ne touches pas l’hostie avec les doigts ni les dents. De grosses hosties pour de petites bouches.

À cette époque, pour avoir un banc, il fallait payer une dîme. Cela voulait dire que c’était la même famille en avant de nous. Nous étions derrière un père avec ses trois petits garçons, assez tannants merci. En peu de temps, le chamaillage commençait et les oreilles du papa commençaient à rougir. Connaissant les signes, on savait bien que dans peu de temps un des petits était pour avoir une de ces bonnes pincettes à la fin de la messe. Les trois y avaient goûté.

Dans l’autre banc se trouvait une dame avec un beau chapeau. Elle changeait de chapeau souvent et parfois l’étiquette du prix y était encore attachée. Je suppose que c’était plus facile pour l’échanger au besoin. 

Si les paroissiens avaient la difficulté à payer leur dîme, le prêtre acceptait du bois de chauffage en échange.

Après la messe, debout sur le perron, la discussion commençait entre les paroissiens. Les hommes parlaient de politique, de la récolte, etc., et les femmes, elles, parlaient de la famille, de la santé et des jardins. Leurs filles parlaient de la mode et de parties et les garçons, des filles et du sport.

Le dimanche après-midi, on était dans les champs pour des parties de balle, les garçons et les filles ensemble, et le père était toujours l’arbitre.

La mère, elle, était dans la maison avec des visiteurs. Parce que son mari et elle étaient fermiers, ses sœurs de la ville savaient bien qu’il y avait de fortes chances que nous soyons à la maison, car les animaux ne nous laissaient pas prendre de jours de congé. Elles arrivaient donc toutes sans nous avertir, car dans ce temps-là, seuls les gens de la ville avaient un téléphone. Les cousins de la ville aimaient donc ça jouer avec les petits chiens, les minous, les petits poulets, les pigeons, les petits veaux, le vieux cheval tout doux nommé Pete et se rouler dans les gros mulons de paille!
 

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Les dimanches en famille
Partie deux

La mère, voulant un jour de repos, souhaitait avoir une bonne pluie pour le lundi, car elle aimait prendre une partie de la journée pour lire sa revue Liberté, qui incluait un roman. Pour le père, c’était son journal La Presse avec les nouvelles du Québec et surtout la politique. Il avait aussi mis la main sur un poste de radio, composé de petites broches pliées qu’on devait ajuster sur les petits points noirs d’un aimant. Ce n’était pas facile de trouver une station assez claire. Il y avait de petites rondelles pour mettre sur les oreilles. C’était mieux que rien. Quand le père réussissait à trouver une station, il demandait que nous, les enfants, ne touchions à rien. 

Comme jeux, ceux de cartes étaient toujours les préférés. On avait aussi le jeu de dames et le jeu de croquignoles. Plusieurs de nos voisins étaient de vieux garçons. Aucun ne voulait laisser la maison paternelle. Donc, ils venaient chez nous où il y avait beaucoup d’action en famille. 

Nous, les enfants, avions notre propre lecture. On avait les petits comics, les livres de cowboys ainsi que les Big Little Books, plus épais que longs. Il ne faut pas oublier la musique, le gramophone avec la crinque (manivelle). Des chansons québécoises avec la Bolduc, Maurice Chevalier, etc., et aussi les chansons de cowboys telles que celles de Wilf Carter. 

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L’arrivée de l’électricité, ça, c’était spécial. Au début, on avait la radio anglaise et un peu plus tard une station française. Le progrès commençait.

Non seulement l’électricité, mais aussi les voitures. Le père n’avait jamais conduit ça. Ça se présente assez facilement, car dans le temps, il y avait très peu de voitures sur la route. La voiture fut grandement appréciée, car on pouvait aller voir la famille Manaigre plus souvent. Conduire en ville, ça, c’était un gros « Non non » pour le père. Donc c’étaient les garçons qui prenaient le volant.

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Comme jeux, ceux de cartes étaient toujours les préférés. On avait aussi le jeu de dames et le jeu de croquignoles. Plusieurs de nos voisins étaient de vieux garçons. Aucun ne voulait laisser la maison paternelle. Donc, ils venaient chez nous où il y avait beaucoup d’action en famille. 

Nous, les enfants, avions notre propre lecture. On avait les petits comics, les livres de cowboys ainsi que les Big Little Books, plus épais que longs. Il ne faut pas oublier la musique, le gramophone avec la crinque (manivelle). Des chansons québécoises avec la Bolduc, Maurice Chevalier, etc., et aussi les chansons de cowboys telles que celles de Wilf Carter. 

L’arrivée de l’électricité, ça, c’était spécial. Au début, on avait la radio anglaise et un peu plus tard une station française. Le progrès commençait. Non seulement l’électricité, mais aussi les voitures. Le père n’avait jamais conduit ça. Ça se présente assez facilement, car dans le temps, il y avait très peu de voitures sur la route. La voiture fut grandement appréciée, car on pouvait aller voir la famille Manaigre plus souvent. Conduire en ville, ça, c’était un gros « Non non » pour le père. Donc c’étaient les garçons qui prenaient le volant.

Le téléphone, lui, arriva beaucoup plus tard. Juste ceux de la ville en avaient un ou bien les gens d’affaires.

Le nécessaire sur la ferme était surtout de la bonne nourriture fraîche telle que plusieurs sortes de viande, du lait et le beurre que la mère barattait. On avait des œufs en abondance avec lesquels la mère faisait beaucoup de desserts. Mais, parfois elle achetait du baloney – comme on trouvait ça bon!

Le gouvernement nous envoyait des dames pour montrer aux mamans comment faire la mise en conserve. Cela voulait dire que l’on pouvait avoir des légumes à longueur d’année. Toutes les mamans faisaient de la couture, mais les chaussures étaient achetées au magasin Eaton. Les petits pieds grandissaient vite, donc le petit chèque du lait de la crèmerie était étiré autant que possible. Au printemps, comme on aimait nos petites espadrilles pas chères. Pas chers comparé à celles d’aujourd’hui.

 

Il fallait que père se garde de l’argent pour acheter des semences. Durant l’été, il préparait son bois de chauffage pour l’hiver prochain. L’été était aussi la période où les fermiers s’échangeaient du temps, des machineries et aussi des équipes de chevaux pour les battages. Quand une grange n’était pas prête, ils traversaient chez le voisin et revenaient quand l’autre était prête. Cette période n’était pas facile pour les mamans. Il fallait nourrir des douzaines d’hommes qui avaient de gros appétits, car les battages étaient de l’ouvrage exigeant et poussiéreux. Quatre repas par jour, servis dans la salle à manger sur la grande table, comme pendant les fêtes, mais sans boisson. 

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S’il y avait une grosse tempête de pluie, plusieurs des hommes qui venaient de loin couchaient chez les fermiers. Ce n’était pas facile de se trouver un autre groupe d’hommes lorsqu’ils ne revenaient pas. Mais, les fermiers avaient plusieurs jeunes filles, alors c’était donc plus facile de garder les garçons en question proche d’eux, même si la plupart d’entre eux étaient gênés. 

Souvent, les récoltes étaient plutôt faibles à cause des sauterelles, de la grêle, etc. Les problèmes ont toujours été là et le seront toujours.    
 

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Souvent, la berceuse endormait le bébé et la maman. Les principaux remèdes étaient les liniments, les aspirines, les onguents maison, la mouche de moutarde et la soupe au poulet. Souvent, on retournait à l’école avec un bandeau de laine autour du cou, sans gêne, car la moitié des écoliers en portait

Le savoir-faire de nos parents

Partie un

Nos parents, pour la plupart des campagnards sans beaucoup d’éducation en raison des distances à couvrir pour se rendre à l’école ou encore du manque d’argent, étaient tout de même toujours très instruits pour assumer leur rôle de parents et de fermiers. Ne manquant jamais de courage, ils savaient s’entraider les uns les autres. Qu’ils soient en santé ou malades, ils savaient s’en sortir. On n’allait pas à l’hôpital sans être gravement malade. Le reste du temps, tous étaient soignés à la maison. 

Physiquement et spirituellement, le savoir-faire était l’apanage de nos parents. Le chapelet occupait une grande place dans nos familles, sans oublier l’humour. 

Notre pauvre chaise berceuse en faisait du millage, surtout quand les bébés étaient malades la nuit avec des maux d’oreilles, des grippes, etc.

aussi. Quand un élève attrapait la grippe, toute l’école y passait.

Le seul vaccin qu’on recevait à l’école était pour la grosse picote. Donc, la rougeole, la fièvre scarlatine et la pneumonie inquiétaient beaucoup les parents. Le père était de ceux qui pensaient qu’il valait mieux prévenir que guérir.

 

Les enfants des campagnes aimaient grimper partout, que ce soit les arbres les plus hauts, les remises, les clôtures de porche... On entendait souvent un « Dégrimpe de d’là! » du père. C’était répété aussi souvent que les « Je vous salue Marie » de grand-maman sur son rosaire. Par grande chance, personne de notre famille ne s’est cassé de membres.

 

Une situation qui paraissait très innocente, mais était potentiellement très dangereuse était quand la batteuse changeait de grange. Nous, les enfants, regardions ce beau melon de paille fraîche, très haut, mais qu’on nous avait défendu d’approcher durant quelques jours. C’était pour laisser la paille se tasser, autrement on se serait enfoncé jusqu’au fond et on aurait étouffé. Mais, le temps venu, nous, les amis et cousins, pouvions jouer sur cette montagne tout l’été. Il fallait nous épousseter avant d’entrer dans nos maisons.

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Vieux tracteur et moissonneuse-batteuse – Photo Bibliothèque et archives Canada

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Ils aimaient aussi ramasser des fruits sauvages, car ils savaient que tante ti-Anne faisait de bonnes tartes. 

Le savoir-faire de nos parents

Partie deux

On avait la présence de bien des cousins et cousines pendant les vacances. Cela donnait un coup de main aux mamans de la ville qui avaient plusieurs ti-gars. Il y en avait un qui aimait voir courir les chevaux. Mais il en avait peur et se plaçait de l’autre bord de la clôture. Il se servait de son sifflet pour faire courir les chevaux autour du champ. Le père lui coupa vite le sifflet, car parmi ces chevaux, il y avait ceux dont on se servait pour travailler dans les champs. Il ne fallait pas les fatiguer pour faire plaisir aux enfants. 

Les cousins se faisaient souvent courir après surtout par les coqs, les oies et le taureau. Ils ne comprenaient pas que les animaux n’aimaient pas partager leur territoire, et qu’en général, cela dépendait de leur humeur, surtout celle du taureau. Il fallait montrer aux cousins comment fermer la barrière ou faire de grands détours et même, comment se rouler en dessous des clôtures brochées au besoin. 

Un jour, les jeunes visiteurs ont eu peur quand le père, un homme très doux, prit un couteau et le lança dans le côté de la vache. Ce n’était pas pour la tuer, mais pour la sauver. C’est qu’au printemps, les vaches mangeaient trop de trèfle humide. Par la suite, elles gonflaient tellement qu’elles pouvaient en mourir. Donc, le fermier connaissait l’endroit exact à percer pour faire sortir tout le gaz accumulé, sans toucher aux intestins. Le fermier avait aussi l’occasion de démontrer son grand savoir-faire quand une vache ne pouvait délivrer son petit veau. Les deux étaient alors en danger. Or, le fermier avait très besoin de ses vaches, car c’était les revenus du lait qui permettaient à la famille de survivre durant l’hiver. Souvent, les récoltes étaient détruites par la grêle, la sécheresse, les sauterelles... Nous, étant enfants, ne réalisions pas les inquiétudes que vivaient nos parents. On les voyait avoir de l’agrément avec leurs amis et la parenté, alors tout était bien. 

Le père prenait bien le temps de jouer avec nous, les enfants, surtout à la balle. En jouant avec nous, cela voulait dire pas de chicane. 

Chaque été, les cousins étaient prêts à revenir. Ils aimaient jouer avec les lapins, les petits cochons, le chien, le chat et aussi avec la quarantaine de beaux pigeons de toutes les couleurs qu’on avait. Leur nid et leurs petits se trouvaient dans le grenier de l’étable. Les cousins les plus âgés, devenus plus braves, embarquaient sur le vieux poney très doux. Ils se pensaient de vrais cowboys. 

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Les vacances finies, les enfants avaient été gâtés par la mère, mais aussi instruits par mon père sur beaucoup de choses concernant la nature à la fois douce et rude. 

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Souvenirs d'enfant

La pleine lune nous attendait par un beau soir d’hiver. Sept heures! Fini l’ouvrage de la ferme pour aujourd’hui. Mon frère, encore plein d’énergie, voulait pratiquer son hockey, surtout son tir au but. Étant le plus vieux des garçons, il avait reçu comme cadeau de Noël une nouvelle paire de patins, un bâton et des rondelles. Moi, une fille et un peu plus jeune, j’étais forcément la gardienne de but. Il avait donc des patins, mais moi, je n’étais pas à mon avantage avec mes galoches d’école et, comme bâton, un balai dont les pailles avaient été coupées court. Pour faire office de but, mon frère avait choisi une grosse boîte. Plus grosse elle était, mieux c’était pour lui. 

La glace n’était pas toujours bien lisse. Mais on jouait dans la plus belle des arènes, le canal Dawson sous une couronne d’étoiles, éclairés par une vraie lune d’hiver et moi, même avec un équipement qui ne payait pas de mine, je gardais assez bien le fort. 

Au bout d’une heure, la mère appelait « C’est le temps de vos devoirs d’école les enfants! » Bon! On y allait pour un dernier effort, mon frère jetant sa tuque sur la glace, son front rouge au vent, fâché d’avoir manqué tant de buts. 

À pleine vitesse, bâtons bien alignés, pour nous deux c’était le moment décisif. Lui, à cause de lames de patins mal aiguisées, manqua son virage et moi, bien plantée, je l’attendais. Nous nous sommes retrouvés tous deux par terre après l’inéluctable collision. Une véritable explosion! Tous avaient sauté : le lanceur, la gardienne et même notre chien Bijou, qui, ayant peur du balai, courut à la maison en glapissant. Nous deux, étendus sur la glace, voyions les étoiles et la lune filer en rond. Voilà une partie mal finie. On se trouvait chanceux de s’en être sortis à bon marché, jusqu’à l’instant où j’aperçus mes galoches tout endommagées, tailladées par les lames de patins. Les lames n’étaient peut-être pas assez affilées pour réussir le virage, mais assez pour faire du dommage à mes galoches. Nous sommes retournés tous deux, pas trop braves, à la maison. Cela voulait dire que la mère serait obligée de faire une commande chez Eaton, et ça prenait au moins une semaine pour recevoir les commandes par le camion à lait. Cela voulait dire également que je serais obligée de porter les galoches de maman pour aller à l’école. Pas plaisant pour moi ni pour ma mère.

Plus tard, je fus gardienne de but, mais avec les conditions suivantes : une boîte plus petite et je porterais les bottes de papa. Dès lors, c’était moins facile de faire des buts. Pour mon frère, c’était maintenant plus un jeu de patience... Fini les avantages!
 

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Le jour de l’An chez grand-maman

Partie un

Tous les enfants trépignent de joie… c’est le jour de l’An. Notre grand-mère, avec son perpétuel large sourire et de la joie plein le cœur nous attend les bras bien ouverts, comme les portes de sa maison. Elle attend tous ses enfants et petits enfants, et aussi plusieurs amis de la famille. Il y a plus d’une centaine d’invités et, comme de raison, beaucoup de nouveaux bébés, qui sont les vrais cadeaux pour grand-mère, ce jour-là. 

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C. Krieghoff, Traîneau d’habitant, vu près de la frontière du Canada,
détail, v. 1847, 64,1 x 92 cm, coll. Thomson, MBAO, repr. dans REID 1999, p. 13.

Tout ressemble à une carte de Noël. Les voitures s’approchent du pont, les chiens aboient et les jeunes garçons courent et se poussent dans la neige. Aussi, on entend les crissements de la neige sous les skis des traîneaux, et le tintement des cloches et des grelots qui garnissent les attelages des chevaux. Ceux-ci, les narines écartées, la respiration agitée, les yeux brillants, l’écume commençant à geler et formant des moustaches blanches ont l’apparence de pères Noël à quatre pattes. 

Les pères de famille encore tout jeunes lancent leur voiture à toute vitesse, pour gagner la course contre les voitures de leurs frères. Même les mamans sourient à ce jeu sachant bien que le dernier à entrer dans la cour recevra la fameuse bascule, dix coups vers le plafond de la cuisine, au bout des bras de ses frères et beaux-frères. 

On est entré! Les guirlandes aux plafonds et aux fenêtres se balancent. Les parents mettent les manteaux de leurs enfants dans leurs propres manteaux. Ceux qui ont plusieurs enfants empilent ces manteaux gonflés sur les lits au plus grand plaisir des enfants qui se faufilent dessous en jouant à la cachette. Mais le petit chien les trouve toujours.

 

Les grandes tables, toutes belles avec les nappes blanches, arborent la vaisselle des fêtes. Le service du repas a été confié à deux voisines de confiance, pour permettre à grand-maman d'avoir le temps d’apprécier ses invités. 

Dans la grande salle à manger, grand-maman s’assoit sur sa chaise au bout de la grande table – une place bien méritée. Grand-maman Ida, une petite personne de 4 pieds 11 pouces aux yeux gris vert, est devenue veuve jeune avec 11 enfants à élever. Ayant bien connu la pauvreté, le dur labeur, la maladie, le deuil, etc., elle est en sécurité aujourd’hui. Joyeuse, elle commence le repas avec la bénédiction suivie par la levée de son verre pour souhaiter à tous une bonne santé pour la nouvelle année. Comme toujours elle chante sa chanson des fêtes, qui sera suivie de celles de ses enfants tout au long de la soirée.

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Le jour de l’An chez grand-maman

Partie deux

Les tables sont couvertes des meilleurs mets : pâtés, boulettes, saucisses maison, rôtis, jambons, ragoûts, patates pilées, légumes, etc. La majeure partie des produits vient de la ferme même. Pour le dessert, il y a le fameux sucre à la crème de grand-maman, des fruits et surtout la gélatine multicolore décorée de crème fouettée. 

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Les tables des enfants se vident toujours plus vite que les autres, les enfants ayant très hâte d’aller courir dans les deux grands escaliers et s’amuser dans une grande chambre prévue pour eux qu’on a remplie de jeux. Dans une autre pièce, les jeunes mamans prennent soin de leurs bébés en gardant l’œil sur les plus grands, plus tannants et parfois trop audacieux dans les jeux. Les parents aiment bien que leurs petits retournent chez eux avec tous leurs cheveux. Après une demi-heure de jeu, même les plus gênés finissent par y prendre part. 

Le repas fini, les jeunes filles et garçons aident à faire la vaisselle et à débarrasser la place. On a tous hâte de danser, surtout les fameuses danses carrées, les gigues, la danse du petit bonhomme…, mais les danses « collantes » sont interdites (loi de grand-maman). 

Dans une si grande famille, c’est facile de trouver des musiciens, mais il faut une bonne équipe de « calleurs » pour remplacer au fur et à mesure ceux dont la voix s’épuise à tenter de se faire entendre par-dessus tout ce bruit. 

Ça swingue allègrement chez les cousins et cousines. Je pense que c’est lors de ces soirées que nous avons tous appris à danser et à nous dégêner. 

Pendant la veillée, quand tout se déroule bien, les enfants à leurs jeux, les danseurs, les joueurs de cartes avec les petits dormant sur leurs genoux, grand-mère profite de l’accalmie et monte dans sa chambre pour donner sa bénédiction du jour de l’An à chacun des enfants qui ne l’ont pas encore reçue. C’est peut-être aussi sa chance de leur parler en privé et de les encourager au besoin.

Après la soirée, on retrouve les cravates des petits garçons et les boucles de satin des petites filles dans les escaliers. Sur un tapis, le petit chien dort profondément, le poil tout collé en raison des caresses de petites mains sucrées. 

Si on a l’impression d’un champ de bataille à la fin de la soirée, c’est une guerre sans blessés et plusieurs sont prêts à recommencer. 
 

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Prendre un p'tit coup

C’était un froid qui faisait tout craquer! Il fallait garder la fournaise à chauffer toute la nuit, brûlant juste du bois. Mon père était obligé de se lever quelques fois durant la nuit pour mettre d’autre bois, en alternant le bois sec avec du bois vert dans la fournaise pour que ça dure plus longtemps.

 

Les veillées passaient vite. On avait souvent de la visite, surtout de vieux garçons demeurant à environ 1,6 km de chez‑nous. On en comptait sept. Donc, notre table de cuisine en a vu des parties de cartes.

 

Notre curé piquait un peu les vieux garçons, car il avait besoin de plusieurs grosses familles catholiques dans sa paroisse. Eux se trouvaient très bien dans la maison paternelle que leurs parents leur avaient laissée. Tout était partagé et ainsi, ils avaient moins de responsabilités. Souvent, ils avaient une sœur célibataire pour prendre soin d’eux.

 

Alors, on commença la partie de cartes, le fameux « whist ». Les hommes, bien en place, fumaient et se balançaient sur le bout de leur chaise qui touchait au mur.

 

Mon père décida d’offrir un p’tit coup de « home brew » à ses amis. Sur la commode étaient rangées des bouteilles de fort – une bouteille diluée avec de l’eau et l’autre à l’état pur.

Mais mon père, pressé de retourner à ses cartes, se trompa de bouteille.

Comme toujours, il offrit un verre au premier. Il le prit, porta un toast à la santé de tous, pencha la tête par en arrière et avala, comme d’habitude, d’un seul coup. Aussi vite la boisson remonta et revola dans la face de son partenaire. Ce dernier, qui était en train de placer ses cartes ne savait pas ce qu’il lui arrivait. Pauvre yâble, très timide, il fut étranglé pour le reste de la veillée. Mon père, lui, fut plein d’excuses durant la soirée, et longtemps après.

Notre mère, elle, n’avait pas perdu de temps. Elle nous dit :« Allez dans vos chambres! », car elle savait qu’on ne pourrait pas s’empêcher de rire. Pour nous, voir un homme en boisson cela nous dérangeait peu. Notre père achetait la boisson juste dans le temps des fêtes pour prendre un verre avec ses amis.

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La boisson du gouvernement était très chère. Pour cette raison, notre mère faisait son vin de « pisse-en-lit » durant l’été et elle en avait assez pour toute l’année. Elle y ajoutait des fruits, des raisins et de la levure, tout mis dans un croque avec un linge dessus. Tout était brassé

tous les jours. Nous, les enfants, on prenait deux ou trois raisins gonflés quand on en avait la chance. À la fin du mois, quand c’était le temps de couler le vin, elle trouvait peu de raisins.

Le matin du jour de l’An, elle nous offrait chacun un petit verre. Par contre, le vin n’était jamais autant apprécié que lorsqu’on prenait un raisin gonflé.
 

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Confirmation à tout prix

Pas question de travailler dans le jardin aujourd’hui après trois jours de pluie qui semblait ne jamais vouloir se terminer. Bon! Quelqu’un frappe à la porte. Je vais ouvrir, me demandant bien qui peut venir me visiter par un temps pareil, et surtout à l’heure du midi.

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Archives de la SHSB, Fonds La Liberté, SHSB 41152

Voici qui entrent deux messieurs habillés en noir, tout trempés, le chien mordant leurs talons. J’ai bien reconnu Monseigneur Cabana avec un jeune prêtre.

 

J’ai prétendu ne point les reconnaître, n’étant pas une pour dérouler le tapis rouge et embrasser les gros bayles. J’ai bien reconnu ses yeux gris et souvent tristes. Aujourd’hui il avait bien raison d’être triste, car ils revenaient de faire une confirmation à Lorette et ils

étaient en chemin pour en faire une autre à Saint-Adolphe. En prenant un raccourci, ils sont restés pris dans un chemin de terre près de chez-nous. Méchante idée – ils sont restés pris dans la boue. Ayant marché chez le voisin où ils ne trouvèrent personne, ils ont continué jusque chez-moi où ils tombèrent sur une jeune femme avec un bébé, mais pas de téléphone.

 

Quelle situation! Tout ce temps-là, se rendre à la deuxième confirma-tion semblait de plus en plus impossible.

 

Je leur ai offert un gros tracteur John Deere qui était stationné dans la cour, mais ces anciens collégiens n’y connaissaient rien à la conduite de machinerie agricole. À ce moment-là, je leur ai offert de conduire moi-même le tracteur si un des deux gardait le bébé. Les deux se sont exclamés NON! Il me semblait qu’ils avaient autant peur du bébé que du tracteur.

 

Sur le moment j’ai pensé que les voisins, même s’ils n’étaient pas à la maison, étaient peut-être à l’étable. Ils sont repartis en s’assurant que je tenais mon chien bien en laisse. Ils ne sont pas revenus. Donc j’étais très contente et eux aussi.

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