top of page
en-tête_v2.png

TABLE DES MATIÈRES

39714212_s.jpg

Ces paroles inspirées de lectures, de rencontres, de réflexions et de sa propension à jeter un regard critique sur la société qui l'entoure, Guy les offre aux créateurs de musique à la recherche de textes significatifs.

« La chanson… c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. » – Félix Leclerc

Présentation

Le titre de ce recueil de paroles, Un oiseau dans ma cour se veut un hommage à Félix Leclerc, le père de la chanson québécoise.

« L’accumulation de joies et de peines ferait éclater le cœur de l’homme, s’il n’y avait pas la chanson. Ses limites : ça ne se voit pas dans les hautes sphères comme la symphonie, ça ne s’attarde pas dans les couloirs de l’âme comme la psychanalyse, ça ne s’explique pas comme la philosophie, ça ne juge pas comme la morale, ça ne s’enseigne pas comme la doctrine, ça ne se copie pas comme la photographie, ce n’est pas un aigle, c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. Ce n’est pas un océan, c’est une source, un grelot d’argent dans l’épaisseur du silence, une allumette dans la nuit. Quelle est la bonne, quelle est la mauvaise? La mauvaise est une mouche qui bourdonne ».

Félix Leclerc, Pour la chanson, Liberté, no 46, 1966, p. 32.

Il y a longtemps qu’il y a un oiseau dans ma cour! Comme autant de ces jeunes garçons qui rêvent de devenir pompier pour combattre la violence d’un incendie, je rêve de devenir parolier pour lutter contre les effets dévastateurs du vide et du non-sens. J’aime les mots, les rimes, l’enveloppement du sens par le son, pourvu que celui-ci n’ait pas le dernier mot!

Alors, parolier en herbe, me suis-je dit, devant « cette maudite machine qui t’as a avalé »[1], que peux-tu faire? La casser, je n’ai pas ce pouvoir. Mais dans ma cour, aménager un nichoir pour les oiseaux, pourquoi pas! 


Dans cette chronique je présenterai donc des textes de chansons qui n’auront d’autres prétentions que celle d’exprimer un désir d’exister. Me frotter à la vie, ressentir, observer, lire, réfléchir et témoigner en chansons de l’homme, de la société et du monde, voilà ce qui m’importe. Perfectibles, ces textes? Sans aucun doute! Mais évitons de les juger sur la base des normes imposées par le commerce et ses complices, les créateurs de sons préfabriqués, qui inversent le processus de création et qui, ce faisant, imposent aux paroliers un rôle de simple « préposé aux paroles » chargé de faire « fiter » le sens dans le son. Oui, aux premiers abords, les thèmes abordés ici, le ton, le style etc. pourront parfois laisser l’impression que ces textes, certains textes à tout le moins, « ne sont pas chantables ». Peut-être sommes-nous déjà trop habitués au « prêt-à-entendre »… 


Pour chaque texte présenté, je dévoilerai mes sources d’inspiration afin de mettre en valeur le sens du texte et le geste créateur qui lui a donné naissance. Ce geste créateur qui, bien qu’il émerge la plupart du temps d’un rapport intime à soi, aux autres et au monde, doit, pour devenir signifiant, s’accompagner d’un effort de réflexion et de justesse. 


Enfin, je veux souligner l’importance qu’a eue pour moi ma rencontre avec le parolier Marc Chabot que j’ai connu en participant à l’un de ses ateliers d’écriture de chanson, à Petite-Vallée. Sa réflexion et ses conseils m’ont été précieux. 

 

[1] La maudite machine, de Pierre Flynn

a2f094bb.png

Mon inspiration pour...

le recueil de textes

Un oiseau dans ma cour

Qu’en est-il du métier de parolier aujourd’hui? Qu’en est-il de la chanson aujourd’hui?

 

De nos jours, quand on rêve de devenir parolier, il faut de toute évidence limiter nos attentes quant à la place que l’on espère occuper. L’incontournable ouvrage de Robert Léger, Écrire une chanson, nous y invite d’ailleurs avec beaucoup de tact. D’autres nous l’on également rappelé. En scrutant Le Devoir, je découvre un article de Sylvain Cormier (octobre 2010) qui décrit la remise du Prix Luc-Plamondon par la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ) au parolier Marc Chabot. Remettant lui-même le prix, Plamondon demandait au public s’il connaissait Chabot, ce qu’il avait écrit et pour qui, etc., pour constater que bien peu de gens en savaient quelque chose. « Ben, c'est ça le sort d'un parolier. [...] Moi, je n'ai pas à me plaindre. Mais si je commençais dans le métier aujourd'hui, je trouverais ça dur », déclare Luc Plamondon.

Toujours dans Le Devoir (mars 2013), Yvan Giguère, fondateur de la Journée de l’Hymne au printemps, réclamait une plus grande reconnaissance pour nos paroliers, notamment lors du Gala de l’ADISQ, en rappelant que le texte est pourtant l’âme d’une chanson. Le mois suivant, dans ce même quotidien, une lettre de la parolière Martine Pratte, cosignée par plusieurs artistes, déplorait le rejet par l’ADISQ de leur demande de créer une catégorie spécifique pour les paroliers afin de reconnaitre ce métier à sa juste valeur.  

Pourquoi en est-il ainsi? Je crois avoir trouvé quelques réponses auprès de ce même Marc Chabot, dans un texte intitulé « La culture, la chanson et le divertissement »[1]. Chabot, qui est aussi philosophe, apporte un éclairage intéressant sur la question. Ce texte est en fait une conférence prononcée en février 2013 dans le cadre d’un Forum sur la chanson québécoise organisé par le Conseil des arts et des lettres du Québec. Selon lui, on assiste actuellement à un phénomène de réduction de la chanson à un art de divertissement et la crise vient non pas du divertissement lui-même, mais du fait que nous encourageons jour après jour la séparation entre culture et divertissement. « Il y a des ponts à rétablir entre la culture et le divertissement », dit-il. Dans ce contexte de survalorisation du divertissement, les paroles, celles qui touchent l’âme, celles qui interrogent l’être humain sur le sens de sa vie, celles qui lui reflètent ses mérites et ses travers, sont souvent négligées au profit de la recherche d’un son. Un son qui semble avoir de plus en plus pour mission de véhiculer une sensation de légèreté et qui, pour y parvenir, doit contourner la gravité des choses et éviter les mots qui en font état. Pourtant, la chanson peut jouer un rôle bien plus important selon Marc Chabot :

« Une chanson peut nous faire réfléchir, une autre peut nous faire danser, une autre peut nous faire pleurer et une autre encore peut nous faire rire. La chanson est un art multiple. La chanson doit être tout autant une fête qu’un hymne. La chanson doit être tout autant une folie qu’un recueillement ou une dénonciation des violences. Chanter, c’est tenter de dire et tenter de décrire tous les mondes possibles […]

Nous avons besoin des chansons pour tous les instants de la vie des êtres et pour tous les instants de la vie d’un peuple. J’ai besoin de ces petits oiseaux dans ma cour, comme le disait Félix[2]. Comme j’ai besoin du cinéma, du théâtre, du roman, de la peinture et de la poésie.

Admettons que comme créateur, comme compositeur, comme parolier, comme interprète, nous ne serions que trop peu de choses si notre seul but, notre seule action dans la culture était de divertir.

La chanson doit être libérée des carcans dans lesquels on tente de l’emprisonner. Elle est plus qu’un genre, elle est plus qu’un son, elle est plus qu’une voix, elle est plus qu’une mode, elle est plus que ce qu’elle vend ou ne vend pas. C’est ce plus que nous devrions rechercher. »

S’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la place peu enviable du parolier et celle de plus en plus grande du  « marché » dans le monde de la culture, on peut penser qu’il y a à tout le moins une corrélation significative! L’industrie a-t-elle vraiment besoin de paroliers pour fonctionner? La conjoncture culturelle, sociale et économique actuelle est telle que plusieurs chansons réussissent à « percer le marché » sans que l’on ait eu besoin de leur insuffler une âme… Dans ce contexte, connaitre un succès, tel qu’on en juge actuellement, n’est pas toujours la perspective la plus valorisante. Heureux celui dont les textes peuvent conjuguer succès commercial et valeur culturelle. Mais, comme le souligne encore une fois Marc Chabot, le parolier n’y peut pas grand-chose :

« Une fois sa création terminée (celle du parolier) beaucoup de choses ou peu de choses sont possibles. Beaucoup ou peu de choses qui ne dépendent pas de lui. Son seul pouvoir était d’écrire une chanson, son seul pouvoir était au bout de son crayon ou de son clavier. Beaucoup du reste tient du hasard, de la chance, des rencontres, de la diffusion, du désir des autres de nous faire exister ou non.

Je veux insister sur ce désir d’exister, car c’est ce qui distingue en tout premier lieu la culture du divertissement. La culture peut faire exister les œuvres et généralement elle se soucie aussi de les conserver, de les rappeler à notre mémoire, de leur faire traverser le temps et les générations.

C’est une responsabilité qui devrait incomber aussi à ceux et celles qui s’occupent du divertissement, même si ce n’est pas leur premier défi. Une responsabilité oubliée, une responsabilité qu’on a parfois délibérément gommée […] ».

Guy Pilote

 

[1] Texte disponible sur le site Web de Planète francophone

[2] L’auteur fait référence ici aux propos de Félix Leclerc auxquels je fais référence au début de ma chronique, propos qu’il avait lui-même cités au début de sa conférence.

39714212_s.jpg

Dans son livre Le pouvoir ou la vie le philosophe et écrivain Jean Bédard traite de l’importance  « de s’atteler à sa propre vie ».  Il insiste notamment sur le fait que la transformation de notre être ne surgit pas d’une compréhension intellectuelle de nous-même. « Le saut crucial pour sortir de la répétition des cycles consiste en un acte de liberté » dira-t-il. Et il ajoute : « le propre de la liberté, c’est qu’elle n’existe pas, il faut la faire »[1].

Voici une chanson qui traite de cette idée riche de sens. Souvent, notre premier saut crucial, c’est celui que nous faisons pour nous affranchir des cycles répétitifs enclenchés dans notre enfance, ceux qui, trop souvent, nous tiennent captifs, étouffent notre vitalité, éteignent notre créativité. S’en libérer, c’est faire le premier pas vers l’aventure presque sans fin du naître à soi.

 

[1] Bédard, Jean. Le pouvoir ou la vie, les Éditions Fides, 2008.

Que faisons-nous de nos rêves?

Nous sommes les enfants

Les filles et les fils

D’une joie du moment

D’amour, de sacrifices

Nous sommes les héritiers

Du meilleur et du pire

Cherchant nos vérités

À travers leurs désirs…

Ils nous ont tant aimés

Nous voulons les ravir

 

Mais pendant ce temps

Que faisons-nous de nos rêves

Que faisons-nous de nos vies

Les miens dormaient sur la grève

Et la mer me les a repris

 

Ils ont donné leur vie

Ont fait nos joies, nos peines

Ont laissé leurs envies

Quelque part à la traine

En espérant nous voir

Les porter à notre dos

En faire nos devoirs

En faire nos crédos

Nous sommes leurs espoirs

Faudra faire ce qu’il faut…

 

Mais pendant ce temps

Que faisons-nous de nos rêves

Que faisons-nous de nos vies

Les miens dormaient sur la grève

Et la mer me les a repris

 

Nous portons leurs bagages

Parfois ils sont trop lourds

Aurons-nous le courage

De défier leur amour

Pour rallumer la flamme

Pour retrouver l’instinct

Qui repère en nos âmes

La trace d’un destin

Nos rêves nous réclament

S’y trouve notre chemin…

 

Et pendant ce temps

Que faisons-nous de nos rêves

Que faisons-nous de nos vies…

Les miens renaissent sur la grève

Et la mer enfin reluit

 

Les miens renaissent sur la grève

Et la mer enfin reluit

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Périclès, homme d’État athénien (495-429 av. J.-C.), disait ceci : « il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage ». Que la liberté procure du bonheur, nul n’en doute. Qu’elle exige du courage (courage qui dérive du mot cœur et qui signifie force d’âme), voilà qui ne convainc pas toujours les modernes que nous sommes. Pourtant…

Dans nos démocraties, par exemple, jouissons-nous pleinement de notre liberté? Faisons-nous preuve de courage? L’inspiration de Vivre de liberté me vient d’un texte du philosophe politique Alexis de Tocqueville, écrit en 1840, dont voici un extrait :

« ​Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d'être conduits et l'envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l'un ni l'autre de ces instincts contraires, ils s'efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d'être en tutelle, en songeant qu'ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. » (Démocratie comme despotisme)

Près de deux siècles plus tard, où en sommes-nous? Sans doute devant le même dilemme. Les humains changent peu, l’histoire le démontre… Il faut cependant admettre que le contexte a changé et la liberté, disons-le, se montre maintenant sous plusieurs apparences. Ayant obéi à son penchant pour la facilité, le citoyen d’aujourd’hui, plus individualiste, s’est taillé sur mesure une société qui lui fournit quantité de petits bonheurs nourrissant en lui un agréable sentiment de liberté qu’il confond souvent avec la liberté elle-même. La plupart du temps, il s’en contente! Il aime posséder, il consomme souvent avec excès, il se divertit à souhait, il se fait valoir de brillantes façons, il mesure son bonheur à la hauteur de l’intensité de ses sensations ou de la satisfaction de ses désirs. Il s’étourdit librement, jusqu’à s’abrutir parfois, si bien qu’il oublie que la liberté, dans sa plus haute valeur, se trouve ailleurs. Où se trouve-t-elle? Elle se trouve là où son agir l’engage pleinement et l’appelle à sa responsabilité, et ce, tant sur le plan individuel que collectif. Cette liberté-là exige force d’âme et le bonheur qu’elle procure est indicible. Ne jamais y faire appel, c’est risquer de devenir morose, indifférent, tolérant à l’intolérable…

Vivre de liberté

Je n’ai plus tout à fait

L’étoffe d’un homme

Je me vends au rabais

Au diable va mon âme

Je me fonds aux objets

Ma valeur a un prix

J’y trouve une paix

Que je paie de ma vie

 

Sur cette terre accablée

Ne restent que des humains

Trop peu, trop peu enclins

À vivre de liberté

 

J’ai perdu tout espoir

D’un monde plus humain

Je me laisse déchoir

Comme si venait la fin

Je n’arrive plus à croire

Que j’ai entre les mains

Le réel pouvoir

De changer ce destin

 

Prisonnier des rouages

Que j’ai su fabriquer

Je me suis fait l’otage

De mon avidité

Ne me reste en gage

De mon humanité

Que le seul courage

De vivre ma liberté…

Mais ai-je le courage

De vivre ma liberté?

 

Sur cette terre accablée

Ne restent que des humains

Trop peu, trop peu enclins

À vivre de liberté

 

Et moi ai-je le courage

De vivre ma liberté?

Et moi ai-je le courage

De vivre ma liberté?

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

L’Équation du nénuphar d’Albert Jacquard, vous connaissez? Voici de quoi il s’agit :

« L’équation du nénuphar illustre bien le phénomène de la croissance dans un milieu fermé. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété héréditaire de produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture. Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils couvrir la moitié du lac? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque le double est obtenu chaque jour. Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace? Au bout du 24 ͤ  jour, 97 % de la surface du lac est encore disponible et nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare, et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce… Et si un nénuphar particulièrement vigilant commençait à s’inquiéter le 27 ͤ  jour et lançait un programme de recherche de nouveaux espaces, et que le 29 ͤ  jour, trois nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible? Eh bien, l’espèce disparaîtrait au bout du… 32 ͤ  jour! »

(Texte d'A. Jacquard, L’Équation du nénuphar, Calmann-Lévy, 1998). 

Nous prenons le risque de disparaître, rien de moins. Pourquoi donc sommes-nous prêts à prendre un tel risque? Je ne suis pas le premier à y avoir pensé : orgueil et cupidité chez les uns, indifférence ou impuissance chez les autres. L’humain a bien quelques travers. Espérons que ceux-là ne lui seront pas fatals…

 
Rien de surprenant est inspiré de cette réflexion de Jacquard, ce généticien engagé, décédé en 2013. Nous réjouir de ce qui est, avoir la sagesse de ne pas le détruire, tel était le message de Jacquard et tel est aussi le sens de ce texte construit à la manière d’un poème, d’une fable. Est-il chantable? Je ne saurais dire…

Rien de surprenant


D’une source pure et claire
Une eau fraîche s’écoule
Les bêtes se désaltèrent 
La nature se soûle
La rivière se déverse
Dans le fleuve nonchalant
Et les eaux se dispersent
Au fond des océans

Rien de surprenant
Rien de surprenant…

Dans le ciel tout bleu
Des oiseaux s’amusent
S’envolent deux par deux
Dans une danse confuse
Planent sur l’air tiède
S’arrêtent de temps en temps
Offrent en intermède
Les splendeurs de leurs chants

Rien de surprenant
Rien de surprenant…

Une terre féconde
Des jardins en folie
Des saveurs abondent
Et comblent les appétits
Des forêts hautes et denses
Une flore en furie
Profitent en silence 
De Celle qui les nourrit

Rien de surprenant
Rien de surprenant…
 
Un soleil qui scintille
Et qui flambe son or
Fascine les pupilles
Affine les regards 
Une beauté qui inspire
Nos âmes en chaleur
Arrachant un soupir
Aux battements de nos cœurs 

De toi Belle Nature
Rien ne me surprend
Mais je voudrais conclure
En te le rappelant :
C’est moi la créature
De ton achèvement
Je suis par ma posture
Le plus intelligent
Et mes œuvres d’envergure
Le démontre aisément!

De répondre la Nature
Sur un ton éloquent :
Rien dans ta signature
Ne prouve ton talent :   
L’eau fraîche se tarit
La terre est en lambeaux
L’air tiède s’épaissit 
Le soleil brûle ta peau…

Pareille désinvolture
Me convainc maintenant
Qu’une sorte d’enflure
Étiole ton jugement…

De bien mauvais augures 
Annoncent de grands tourments 
Rien de surprenant
Rien de surprenant…

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Dieu est l’objet d’une croyance et non l’objet d’un savoir. Le croyant ne saurait affirmer qu’il connaît son existence : il y croit, point. De même en est-il pour l’athée : il ne pourra affirmer avec certitude que Dieu n’existe pas. « L’athéisme, dira le philosophe Comte-Sponville (lui-même athée), c’est croire que Dieu n’existe pas. C’est donc une croyance comme une autre ».*


Cela dit, si la preuve de son existence ou de sa non existence ne peut être établie, rien n’empêche d’y réfléchir puisque l’idée de Dieu, elle, est profondément ancrée dans l’esprit humain. « La question de Dieu, dira le philosophe, nous est posée par notre finitude, par notre angoisse, par notre histoire, par notre civilisation, par notre intelligence, par notre ignorance même. Je ne peux ni prétendre qu’elle ne m’intéresse pas, ni feindre de n’avoir, sur la réponse, aucune opinion ».** Pas de foi ni d’athéisme sans l’idée de Dieu : les uns portent cette idée pour y croire, les autres pour en douter ou la réfuter. Je ferai référence à cette idée dans quelques-uns de mes textes, non pas sous l’angle de mes croyances ou incroyances personnelles, mais plutôt en tant qu’horizon possible inscrit dans l’esprit humain. Horizon dont on ne peut nier la portée sociale, notamment lorsqu’il est question de religion dans l’espace public. « On avait pourtant cru que la religion s’était éclipsée du discours public, et la voilà qui ressurgit » nous dit le politologue Sami Aoun dans son livre Le retour turbulent de Dieu – politique, religion et laïcité


La chanson que je vous présente aujourd’hui a été écrite en partie lors d’un atelier d’écriture de chanson à Petite-Vallée, en Gaspésie. Le défi consistait à choisir un titre parmi les trois qui nous étaient proposés, pour jeter ensuite, dans un temps limité, les bases d’un texte de chanson. « Peut-être que Dieu est malheureux » est le titre que j’ai choisi pour relever ce défi. Le Dieu que nous présentent les religions « est trop beau pour être vrai », dira encore Comte-Sponville. Voici un Dieu qui porte sa part d’ombre et qui, en cela, ressemble drôlement aux humains que nous sommes. Quelque chose me dit que l’homme nouveau, convaincu et convaincant, a réussi à répandre son hommerie partout dans l’univers. Si Dieu existe, parions qu’Il doute de Lui-même ! 


Joyeuses Fêtes!

* Comte-Sponville, André, Le goût de vivre et cent autres propos, Albin Michel, 2010, p. 108

** Comte-Sponville, André, L’esprit de l’athéisme - Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel (Livre de poche), 2006, p. 85

Peut-être que Dieu est malheureux

Peut-être que Dieu est malheureux

Peut-être qu’Il est tout à l’envers

Que sous Ses airs radieux

Il cache une grande misère

 

Peut-être qu’Il ne veut plus être Dieu

Qu’Il ne l’aime plus, son univers

Qu’Il S’est fait prendre à Son jeu

Puis qu’là Y’a juste envie de Se taire

 

J’le sais pas, j’le sais pas

 

Peut-être que Dieu est malheureux

Parce qu’Il voit bien de quoi ça a l’air

Quand on divise le monde en deux

D’un bord le ciel puis de l’autre l’enfer

 

Peut-être qu’Il se dit : « en tout cas,

J’sais pas c’que Je ferais si c’était à refaire »

Parce qu’en voyant le résultat

Y’est pas convaincu de son affaire

 

J’le sais pas, j’le sais pas

 

Peut-être qu’on n’a pas fait notre part

Pour nous occuper de notre terre

Puis qu’Il S’est dit : « OK d’abord »

Puis qu’Y’est parti bin en colère

 

Peut-être aussi qu’Il nous ignore

Parce que maintenant Il considère

Que c’est à nous d’faire un effort

Pour nous sortir de la misère

 

J’le sais pas, j’le sais pas

 

Peut-être que Dieu n’en revient pas

Parce qu’Il trouve qu’on exagère

Et qu’Il se dit « avoir su ça

Je m’en serais pas fait un calvaire »

 

Peut-être que Dieu se dit tout bas :

« Combien ça vaut un univers »

Puis s’Il ne se retenait pas

Il vendrait tout ça aux enchères!

 

J’le sais pas, j’le sais pas

 

Peut-être qu’au fond Il aimerait ça

Se convertir en homme d’affaires

Vivre quelque part aux États

Devenir un puissant milliardaire

 

Peut-être qu’Il se dit « pourquoi pas?

Y’aurait sûrement une piastre à faire   

J’investirais aux Bahamas

Y paraît que c’est bin populaire »

 

Peut-être qu’Il nous annoncera

Quand Il reviendra sur la terre

Que le paradis sera ici-bas 

Tant qu’il y aura une piastre à faire! 

 

Oui, tant qu’il y aura une piastre à faire! 

Tant qu’il y aura une piastre à faire! 

 

Peut-être que Dieu est malheureux

Peut-être que Dieu est malheureux…

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

« Ce n’est pas que j’ai peur de la mort, dit Woody Allen, mais je préférerais être ailleurs quand elle se produira. »[1] Qui n’est pas angoissé devant la mort? L’ennui, c’est que personne ne peut mourir à notre place! 

Dans un passé pas si lointain, la croyance ferme des gens en une vie meilleure après la mort conditionnait au quotidien leur conduite et, quand venait la fin, les prêtres étaient là pour assurer le passage vers cet au-delà qui avait nourri leur espérance. Ces « passeurs » jouissaient d’un statut de demi-dieux en raison du caractère numineux (sacré) de leur rôle. La confiance qui leur était accordée leur donnait le pouvoir de calmer les angoisses les plus profondes. C’était avant que la science biomédicale et la technologie ne permettent les petits miracles que nous connaissons aujourd’hui. L’espérance de vie était loin d’être celle que nous atteignons actuellement et la mort apparaissait si inéluctable qu’il était presque impossible d’en éviter la pensée. Qui alors aurait pu se passer de ceux qui allaient sauver leur âme? 

Notre rapport à la mort a radicalement changé. La repousser avec énergie, la garder sous silence si elle rôde, passer à autre chose le plus rapidement possible lorsqu’elle a sévi, voilà la nouvelle réalité. La croyance en un au-delà, pour les uns, s’est effritée, pour les autres, est reportée à plus tard. Le bonheur est possible « de ce côté-ci », et pour plus longtemps que jamais. Ce passeur qu’est le prêtre devient donc moins important à nos yeux que ne l’est la personne qui détient le pouvoir de retarder l’échéance du passage, et cette personne est incarnée par le médecin. Si le médecin peut s’interposer et repousser le moment ultime, bien sûr que nous nous en réjouirons! Et nous l’estimerons, le surestimerons même, ou peut-être irons nous jusqu’à l’investir d’un pouvoir surhumain, jusqu’à le déifier, comme il en était autrefois pour le prêtre. Il est aussi vieux que l’âme humaine ce réflexe qui nous pousse à donner notre confiance absolue à celui qui, se tenant aux confins de la vie et de la mort, peut agir en notre faveur. De tout temps on lui a conféré un statut de sauveur, on l’a entouré d’une aura, on lui a accordé des privilèges, dont celui-ci, qui traverse les époques : l’intouchabilité. À ce privilège s’associent certains autres avantages qui varient selon les valeurs du temps; vous l’aurez constaté, le pouvoir de « passer à la caisse » sans trop de restrictions semble être de nos jours un avantage que l’on croit légitime de concéder à ceux qui méritent notre plus haute estime. Que l’opinion publique tourne soudainement en défaveur de cet acteur méritant (certainement le plus méritant aux yeux de la population québécoise) et l’on verra aussitôt se déployer différentes méthodes pour rétablir l’ordre. Méthode douce : campagne de relations publiques faisant valoir le dévouement exceptionnel de ce valeureux professionnel capable d’actes héroïques (on l’a vu dans de récentes publicités et on le voit dans plusieurs téléromans et téléséries faisant du médecin une sorte de héros); méthode dure : menaces d’un accès plus limité à ses indispensables services. Celui qui peut marquer la vie de son empreinte détient un certain pouvoir de conviction. 

Ainsi avons-nous maintenant foi en lui, le médecin, et en tout l’univers prescriptif qu’il déploie, allant du bout de papier qu’il nous griffonne jusqu’aux manœuvres hautement technologiques qu’il opère sur nos corps, en passant par les prescriptions comportementales de la médecine préventive. L’objectif : prolonger notre durée de vie utile, repousser notre date de péremption.

La mort demeure pourtant inéluctable. L’échéance arrivera, plus tard pour nombre de gens (et pourquoi pas?), mais elle arrivera. Entre temps, « aurons-nous médité sur la mort, demande le philosophe André Comte-Sponville[2], non pour elle-même, mais pour ce qu’elle nous apprend sur la vie et sur nous-mêmes »? À tout le moins ne pas l’ignorer, si ce n’est que « pour consacrer à la vie – la sienne et celle des autres – tous les soins qu’elle requiert » ajoute-t-il. La savoir là, la mort, c’est se donner la chance d’accorder une priorité à la vie, à « ce qui vaut la peine d’exister », pour emprunter les mots d’Hubert Reeves. Si vous avez appris à vibrer à la beauté du monde et à vous réjouir de votre vie, nous rappelle le psychanalyste Guy Corneau, « l’essentiel aura été accompli et vous franchirez les portes de la mort sans souci superflu. »[3]

Je terminerai avec cette pensée à la fois brutale et libératrice de l’écrivain Yvon Rivard[4] : « la beauté, c’est ce que nous raconte le temps avant de nous tuer ». Le temps est assassin, c’est vrai, mais la beauté, qui existe avant tout dans notre regard, nous procure par moment le sentiment de pouvoir transcender notre condition de mortel. Qui sait, peut-être est-ce cela, l’éternité? 

Voici un texte qui traite avec humour du thème de la déification du médecin. Entendons ici le médecin en tant que membre de l’un de ces groupes identitaires qui revendiquent sa différence et non pas en tant qu’individu exerçant chaque jour son métier avec professionnalisme.

[1] Cité par André Comte-Sponville dans La vie humaine, dessins de Sylvie Thybert, Les Éditions Hermann, 2007.

[2] Idem

[3] Guy Corneau, Revivre, Les Éditions de l’Homme, 2010.

[4] Yvon Rivard, Le siècle de Jeanne (roman), Les Éditions du Boréal, 2010.

Docteur, Docteur

Docteur, Docteur, je suis malade

Bien sûr que je n’veux pas mourir

Je sais que vous êtes capable

Vous pouvez sans doute me guérir

Il faudrait peut-être m’opérer

Enlever le bout qui fait défaut

Le remplacer, me rabouter

Et puis me recoudre la peau

 

Docteur, Docteur, je vous en prie

J’suis trop occupé pour mourir

Personne ne m’avait jamais dit

Que le temps pouvait me trahir

 

Avant, Docteur, vous vous souvenez

Il n’y avait pas de technologie

On n’pouvait pas être prolongé

Quand c’était fini, c’était fini

On allait voir le curé

Pour éviter les feux de l’enfer

Il nous aidait à trépasser

C’est tout ce qu’il pouvait faire

 

Docteur, Docteur, c’est vous maintenant

Qui jouez sur terre le rôle de Dieu

Vous êtes son digne représentant

On n’aurait pas pu trouver mieux

Qu’importe le ciel, qu’importe l’enfer

Nous c’que l’on veut c’est vivre longtemps

C’est pour ça qu’on vous paye si cher

On veut n’avoir pour notre argent

 

Docteur, Docteur, je vous en prie

J’suis trop occupé pour mourir

Personne ne m’avait jamais dit

Que le temps pouvait me trahir

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

L’amour et son petit lexique

Peut-on écrire des chansons sans parler d’amour? Je suis d’avis, avec Francis Cabrel, que toutes les chansons, ou presque, parlent d’amour.* Dénoncer les violences, les abus de pouvoir, être sensible à la réalité des plus démunis, faire valoir des principes de justice sociale, souhaiter l’avènement d’un monde meilleur, etc., c’est en quelque sorte réclamer plus d’amour… Admettons cependant que ce n’est pas ce que l’on entend généralement par « chanson d’amour ». C’est souvent l’amour passionné qui a la faveur du public lorsqu’il s’agit de traiter de ce thème en chanson : l’amour qui donne des ailes ou qui les brûle, qui nous fait planer ou chuter… Mais la chanson peut aussi témoigner des nombreux autres visages de l’amour : amour naissant, impossible, éphémère, imaginaire, absent, blessé, brisé, perdu, retrouvé, réparateur, parental, nostalgique, reconnaissant, compatissant, spirituel, etc. C’est ce que je tenterai de démontrer.

 

Aujourd’hui, je commencerai par établir un petit lexique de l’amour en faisant référence aux formes d’amour définies par les premiers penseurs**, mais aussi – et surtout – en m’appuyant sur mon expérience d’intervenant social, grâce à laquelle j’ai pu être témoin des joies et des peines qui accompagnent les relations amoureuses. Le lecteur qui le désire pourra se référer à ce petit lexique pour mieux saisir la thématique développée dans les chansons d’amour qui paraîtront, de temps à autre, dans cette chronique.

 

Commençons par Éros, ce dieu de l’amour que nous connaissons tous. Éros porte le désir et le désir est le premier appel de l’amour (ne pas confondre le désir et la pulsion; le désir peut être mis en forme par la culture, la pulsion y résiste, elle retient le sujet près de la bête, et parfois de la bêtise – c’est le cas dans les agressions sexuelles). Éros installe le manque, il provoque une tension entre les soupirants, tension que ceux-ci verront à soulager par leur rapprochement, et cette oscillation répétée, entre désert et plénitude, entre souffrance et plaisir, produit une puissante intensité. Éros, ce jeune fou, a toujours fait ce travail, et c’est précisément pour cela qu’on l’aime ou qu’on le craint, qu’on le recherche ou qu’on le fuit. Il surprend, arrive de manière impromptue, s’impose parfois, sans se soucier de notre capacité à le recevoir. On devra lui faire une place ou le remettre à sa place, selon nos dispositions du moment. Certains amoureux s’y accrochent parfois pour le plaisir de l’intensité qu’il produit, préférant l’expérience de « tomber en amour » à celle d’aimer et d’être aimé. Et cela est devenu plus fréquent de nos jours. Comme le dit Baricco dans son essai sur la mutation (Les Barbares), la modernité a créé « l’homme horizontal », celui qui donne un sens à sa vie en multipliant les expériences intenses, vibrantes (heureuses ou malheureuses) et Éros est tout indiqué pour faire vivre de telles expériences. Ne vivre qu’habité par Éros peut cependant rendre la vie difficile; mais la vie sans lui l’est tout autant!

 

Il y a aussi l’amour que les Grecs appelaient Philia. Dans leur conception, Philia se rapportait d’abord à l’amitié, mais il peut aussi vivre dans le couple. D’ailleurs, les plus beaux couples que j’ai vus en étaient habités. Philia s’exprime par la connaissance de l’autre, le respect, la confiance, la complicité, le soutien mutuel. Il n’exclut pas le désir (l’exclure conduit souvent à l’échec du couple), mais le module, le transforme, le rehausse, comme il en est pour un vin qui vieillit bien. Philia raffine la matière brute apportée par Éros. Pas de Philia sans égalité entre les partenaires, sans réciprocité, ce qui exclut les rapports de supériorité (domination, contrôle, violence psychologique ou physique, etc.). Dieu sait qu’historiquement les relations de couple se sont souvent passées de Philia, Dieu sait qu’elles s’en passent trop encore…

 

Il faut un peu de verticalité pour créer ensemble un amour habité à la fois par Éros et par Philia. Entendons par verticalité : introspection et élévation, conscience de soi, nécessitant volonté et bonne foi. Résultat, quand on y parvient : on se réjouit de la présence de l’autre, on est bienveillant l’un envers l’autre, on fait l’amour avec grâce et l’on se sent comblé (ce qui est différent de se sentir « satisfait »). Et si le couple n’y parvient pas, alors de deux choses l’une : ou bien l’on vivra seuls ensemble, dans la monotonie des lignes parallèles; c’est ainsi que bien des couples « durent », sans réelle amitié, sans réel désir, faisant de leur amour un jeu de rôles et de leur sexualité un « devoir conjugal ». Ou bien Éros verra à corriger le tir : il pointera sa flèche ailleurs! Éros a un faible pour les partenaires qui s’ennuient. Alors on y résistera et, question de prendre la mesure du possible, l’on tentera peut-être de réinvestir notre couple. Ou bien l’on cédera à la puissance du désir et à l’appel d’un nouvel amour qui – attention! -- n’est pas encore donné : l’amour entre deux adultes est une aventure qui nécessite l’apport créatif de chacun d’eux. Dans cette aventure qu’est l’amour (l’aventure du « donner-et-du-recevoir »), l’enjeu pour les nouveaux soupirants est donc celui-ci : possédons-nous la matière première? Sommes-nous prêts et capables de la transformer? Bref, sommes-nous, lui et moi, ou elle et moi, sur le chemin de la créativité? Sans quoi le risque de revenir au point de départ se fait grand.

 

Parlons maintenant de l’amour parental, que l’on a moins discuté chez les philosophes, mais qui mérite une attention en raison de ses propriétés particulières. De nos jours, on réduit souvent cette forme d’amour à ce que l’on appelle « l’attachement ». Ce concept moderne, né de la psychologie animale, est effectivement très pertinent et éclairant, mais il n’embrasse pas tout ce que contient l’amour parental : il y a aussi dans le lien parent-enfant cette douceur, cette bienveillance, cette générosité, transmises culturellement, et ce bien culturel apparaît comme une richesse qui transcende la mécanique animale de l’attachement. Polarisé chez la mère, ce bien culturel tend maintenant à mieux se répartir, et c’est heureux!

 

L’amour parental est aussi un amour qu’il faut moduler, transformer. Il doit être suffisamment intense et vrai de la part du parent pour que l’enfant y construise les bases de sa propre capacité d’aimer, mais il doit aussi, à un certain moment, pouvoir se mettre en veille, ou plutôt changer de visage, juste assez pour permettre à l’enfant de devenir « autre », c’est-à-dire lui-même, et de se donner le droit de s’ouvrir à ce qui est « autre », à l’étranger. Ainsi pourra-t-il à son tour, cet enfant dans un corps d’adulte, devenir véritablement un adulte et répondre à l’appel du désir et de l’amour. L’enfant doit lui aussi assumer sa part de responsabilité dans ce mouvement qui lui apparaîtra comme une seconde rupture (consciente cette fois-ci) de son cordon ombilical : il devra affronter dignement son angoisse de séparation. C’est la clé pour devenir un adulte. J’explorerai l’amour parent-enfant dans mes chansons, l’amour blessé surtout (déformation professionnelle!), l’amour dans ses aspects les plus aliénants : rejet, abandon, humiliation.

 

Enfin, il y a l’amour appelé Agapè, cet amour universel, spirituel, gratuit, qui est pure douceur et qui se vit dans l’oubli de soi, « sans motif, sans intérêt, et même sans justification », dira Comte-Sponville. Il est « charité », non pas au sens « perverti par deux mille ans de condescendance cléricale, aristocratique puis bourgeoise », poursuit le philosophe, mais au sens premier de ce terme qui signifie « amour créateur », un amour qui confère de la valeur. C’est pourquoi on le verra se tourner vers ceux et celles à qui, justement, on ne reconnaît pas ou peu de valeur : les pauvres, les miséreux, les malades. Un tel amour exige une bonne dose d’humilité; il a peu à voir avec l’amour qu’expriment les défenseurs de causes (dont je suis!), ceux-ci cachant la plupart du temps, sous leur sensibilité aux malheurs des autres, un solide ego et un orgueil bien enraciné. Agapè se manifeste généralement avec discrétion.

 

Cela dit, j’ai souvent constaté que la réussite « amoureuse » des couples repose sur un équilibre entre ces différents visages que peut prendre l’amour (sauf Agapè, qui se range dans une classe à part) : trop de l’un, pas assez de l’autre, ajustement possible ou impossible entre les partenaires, et même entre l’ensemble des membres de la famille (de fait, ne s’investir que dans l’amour parental conduit souvent à l’échec du couple, et l’enfant s’en trouve finalement pénalisé), etc. Aussi faut-il être capable d’amour de soi, et savoir y mettre le bon dosage : ici, l’expression « trop c’est comme pas assez » est tout indiquée!

 

Avec de la chance, de la patience, de la volonté, vient la joie d’aimer et d’être aimé.

Je vous reviens bientôt avec quelques chansons d’amour. La première sera habitée par Éros.

 

 

* Dans le cadre de l’émission télé Stéréo pop, à Radio-Canada.

** À ce propos voir le philosophe André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, chapitre 18 : L’amour.

39714212_s.jpg

Ne me cherche plus est le premier d’une série de six textes de chansons qui aborderont le thème de la relation amoureuse entre homme et femme. L’amour est sans contredit le thème le plus souvent abordé en chanson. Dans une société où la quête du bonheur personnel compte plus que tout, la relation amoureuse prend nécessairement une importance capitale. Elle donne lieu à beaucoup d’émotions, elle devient donc un sujet de prédilection pour les auteurs et les paroliers.


Il n’est plus à démontrer que, dans nos sociétés occidentales, l’individu est au centre de tout, et que son authenticité et son épanouissement personnel sont devenus des valeurs incontournables[1] De plus en plus rares sont les individus prêts à faire durer leur couple au péril de leur identité propre. Le couple moderne ne peut donc durer que si les deux partenaires qui le composent existent aussi en tant qu’individu libre et assumé, et que s’ils inscrivent leur relation dans un processus évolutif. Le couple n’est plus une chose établie « une fois pour toute », il est plutôt « une création en continu », il se transforme à mesure que les individus qui le composent se découvrent, se transforment, s’épanouissent. 


Supposons maintenant que nous sommes en présence de deux individus psychologi-quement « adultes », chacun s’assumant en tant que « personne en devenir » et acceptant qu’il en soit de même pour l’autre. Les voilà prêts à convenir du type de relation qu’ils veulent établir. Il faudra alors que ces deux personnes négocient « l’espace psychologique » dont chacun a besoin pour s’épanouir au sein du couple. On constate souvent que l’échec du couple tient justement à un échec de cette négociation entre les partenaires. Si cette négociation échoue pour des raisons aussi simples que le manque d’habiletés à communiquer chez les partenaires, tout n’est pas perdu! On peut en effet apprendre à communiquer. Mais, il faut se le dire, cette négociation échoue souvent parce que les partenaires s’adonnent à une communication « tordue » où l’on devine que l’intention de la communication n’est pas de se comprendre, de s’entendre, d’évoluer, de se lier, mais plutôt d’avoir raison ou de dominer. Le défi n’est donc plus le même, et rien n’évoluera tant que l’enjeu réel ne sera pas mis au jour et admis par les partenaires. L’introspection et la bonne foi sont donc des ingrédients nécessaires à la réussite.


Il semble y avoir plus de manières d’échouer la création de ce couple évolutif que de manières de la réussir : rupture, ennui au sein du couple, infidélité, peur de l’engagement et amour introuvable témoignent de la difficulté d’être en couple, et d’en faire une expérience vivante et épanouissante. Ce sont ces différentes formes d’échecs du couple qui feront l’objet de mes prochaines chroniques. J’aborderai aussi le thème de l’amour qui dure. Oui, l’amour peut durer… et être vrai!

_______________________________ 


Ne me cherche plus


« Les hommes meurent rarement d’amour, ils s’endorment avant! Et les femmes meurent, parfois, de cet endormissement ».[2] C’est avec cette petite phrase amusante du philosophe Comte-Sponville que je voulais introduire mon sujet aujourd’hui puisqu’il sera question de séparation, et qu’au Québec, comme le rapporte la journaliste Martine Letarte[3], 70 % des ruptures viennent des femmes (et c’est d’ailleurs la même chose dans les autres pays occidentaux). Et l’homme, dans de nombreux cas, affirme qu’il ne l’a pas vu venir. Que se passe-t-il donc dans la tête de ces hommes qui étaient là sans y être vraiment?


Chercheurs et professionnels en relation d’aide s’entendent pour dire que, de façon générale, les hommes se questionnent moins que les femmes quant à leur satisfaction dans une relation amoureuse. Le psychologue Richard Cloutier[4] parle d’un « déficit de lecture émotionnelle » pour décrire ce manque de réflexivité émotionnelle et relationnelle qui caractérise les hommes. Ce déficit, dira-t-il, est souvent lié à la prégnance des valeurs de socialisation masculine traditionnelle (l’homme fort et indépendant), celles-ci le détournant de l’univers des relations intimes et de la vie intérieure. L’homme sera par conséquent moins enclin à faire le travail émotionnel nécessaire pour investir le couple, travail qui implique le développement d’habiletés à décoder le climat relationnel et à communiquer dans un langage approprié. Quand la crise survient, il a tendance à chercher des solutions dans son répertoire de comportements habituels : il propose des actions concrètes, des projets (rénover, acheter une nouvelle maison, faire un voyage). Parfois, il s’aventure dans un champ inexploré et propose une thérapie de couple, mais trop tardivement (le mal est fait, la partenaire est désillusionnée, l’espoir est mort), si bien que l’offre sera refusée! Ou, si elle se tient, cette thérapie, elle prendra souvent l’allure d’un procès d’intention stérile et inutile (il s’agit ici, bien sûr, d’une généralisation : les réactions des hommes et des femmes peuvent être différentes, et les rôles, inversés).


La détresse de l’homme est-elle plus grande que celle de la femme en cas de rupture? En fait, tout n’est pas lié au genre masculin ou féminin, mais certains éléments le sont. Évidemment, celui ou celle qui « ne l’a pas vu venir » sera généralement plus déstabilisé et, à cet égard, c’est l’homme qui se verra le plus souvent sous le choc et en situation de rattrapage dans sa compréhension des causes de la rupture. Toujours en raison de ce « déficit de lecture émotionnelle » dont nous parlions plus haut, l’interprétation de la rupture chez l‘homme fera souvent défaut, ce qui compliquera son deuil. Il n’est pas rare qu’il se verra comme une pure victime, que sa part de responsabilité dans l’échec de la relation restera hors de son écran radar (après tout, c’est elle qui est partie, ce doit donc être elle qui est responsable de la séparation…). Voilà qui explique en partie sa tendance à rester accroché à la relation, accroché en manifestant ouvertement son désir d’y revenir, ou accroché en maintenant un lien « par la négative », par exemple en mettant tout en œuvre pour nuire à l’autre et rester ainsi dans sa vie (procédures judiciaires interminables, chantage, otage des enfants sur le plan affectif ou refus de collaboration, harcèlement et parfois, malheureusement, vengeance meurtrière). De plus, ce même « déficit » sur le plan émotionnel le conduira à s’isoler psychologique-ment et socialement : souvent honteux devant ce qu’il considère comme un échec, il évitera de parler de sa situation, d’exprimer ce qu’il vit. À cela s’ajoute la difficulté de s’adapter à la vie quotidienne après la rupture, surtout si les rôles étaient bien campés selon les genres. Dans ce cas, l’homme découvre soudainement un monde d’obligations liées à la responsabilité de « tenir la maison » (soins des enfants, repas, épicerie, lessive, etc.) et, il faut bien le dire, cet apprentissage exige une bonne dose d’énergie. 


La détresse de la femme n’est pas moindre, mais j’ai souvent remarqué que, chez celle-ci, les plus grandes difficultés ont été vécues avant la rupture (dans le cas où c’est elle qui l’initie), et que cette rupture, une fois décidée et en voie de se réaliser, est souvent vécue comme une libération. Par contre, avant la rupture, elle a souvent travaillé très fort auprès de son homme pour « gérer la relation conjugale », c’est-à-dire tenter de se faire comprendre sur le plan émotionnel, de rééquilibrer le fardeau lié aux soins des enfants et aux tâches domestiques, de mieux répartir le pouvoir décisionnel, etc. Elle aura eu le sentiment que son engagement tournait à vide. Son énergie, tout comme son estime personnelle, aura souvent frôlé le plancher avant qu’elle n’accepte la nécessité d’agir pour « se retrouver ». Elle aura aussi été tourmentée en pensant aux réactions de tous lorsqu’elle annoncera la rupture : celles de son conjoint, de ses enfants, des familles concernées, des ami(e)s, des collègues de travail, etc. Étant elle aussi empreinte des valeurs qu’elle a acquises de sa socialisation en tant que femme (une sorte d’hyper-responsabilisation), elle voit venir de loin la culpabilité qu’on ne manquera pas de lui faire sentir et qu’elle aura à assumer courageusement. En fait, la tempête la secoue, elle aussi, mais son intensité ne se pointe pas au même moment durant l’épisode tumultueux. Évidemment, si monsieur n’accepte pas la rupture et décide de lui rendre la vie difficile, la séparation effective ne la soulagera pas de ses tourments. Nombre de femmes subissent en effet les durs contrecoups d’une séparation que monsieur « ne digère pas » (encore une fois, les rôles peuvent être inversés).


Cela dit, il me semble que la manière la plus bénéfique de se sortir des impacts psychologiques d’une rupture, que l’on soit homme ou femme, reste celle-ci : « se dévictimiser », assumer sa part de responsabilité dans l’échec, reconnaître ses forces et ses faiblesses, s’améliorer et aller de l’avant! 


Notez que ce que je raconte dans plusieurs de ces textes m’a été largement inspiré par les propos de dizaines de femmes et de quelques hommes qui se sont confiés à moi tout au long de ma pratique professionnelle. Voici l’histoire classique d’une rupture initiée par une femme qui en avait ras-le-bol! 

[1] Individualisme, désengagement social au profit d’une quête du bonheur personnel : thèmes souvent abordés dans mes chroniques. Voir notamment : Vivre de liberté, Je m’en fous (à venir), C’est comme ça que l’on vit (à venir). Sur le thème de l’amour, voir aussi : L’amour et son petit lexique.

[2] André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, chapitre 18 : L’amour.

[3] Martine Letarte, Lorsque l'homme subit la rupture, publié le 24 janvier 2016 à 08h30 | Mis à jour le 24 janvier 2016 à 08h30

[4] Dʳ Richard Cloutier, psychologue, Rupture conjugale et détresse masculine, site Web de l’Ordre des psychologues du Québec.

Ne me cherche plus

Je voudrais tant que tu retiennes
Que je t’ai aimé plus encore
Que ne le disait mes « je t’aime »
Et que ne l’exprimait mon corps
Je t’ai aimé jusqu’à me perdre
Jusqu’à moi-même ne plus m’aimer
J’ai marché sur une corde raide
Longtemps, longtemps, puis j’suis tombée

À quoi ressemblait notre amour?
Je n’étais que l’ombre de tes projets
Et qu’en avais-je en retour?
Que les mirages de tes succès…
Tu n’en avais, mais rien à foutre
De mes honnêtes sentiments
Ce que tu voulais coûte que coûte 
C’était d’amasser ton argent

Ne me cherche pas, ne me cherche plus
J’ai fait le pari du bonheur
J’écoute la voix de mon cœur 
Et toi, dis-moi, que deviens-tu?

Combien de fois t’ai-je invité 
À réinventer notre vie
À explorer d’autres sentiers
Ne t’ai-je pas souvent averti?
Et quand le moment est venu
Je t’ai dit que je partirais
Évidemment tu ne m’as pas cru
Pas plus que tu ne l’as jamais fait

Et puis après tu as pleuré
Pleuré comme si tu découvrais
Que quelque chose avait cloché
Et combien tu le regrettais
Puis conforté dans ta complainte
Tu t’es nourri de tes malheurs
En gardant ce droit souverain
De me déverser ta rancœur 

Ne me cherche pas, ne me cherche plus
J’ai fait le pari du bonheur
J’écoute la voix de mon cœur 
Et toi, dis-moi, que deviens-tu?

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Ne me cherche plus abordait le thème de la rupture amoureuse. L’idée n’était évidemment pas de la surestimer comme solution au conflit, mais plutôt de montrer qu’elle est parfois un mal nécessaire. Si certaines personnes envisagent trop rapidement cette solution, d’autres, au contraire, incapables d’insuffler une vie à leur couple, choisissent plutôt de le maintenir en vie en le branchant sur un respirateur artificiel. Que ce soit par dépit, par devoir ou par intérêt, ils préféreront se conforter dans une solitude à deux, séparés par un épais silence, plutôt que de risquer le choc de l’authentique rencontre. Pas de rencontre véritable…, et non plus de cette joie que l’on éprouve à être ensemble et à s’accompagner sur les chemins de nos vies.

Erreur sentimentale

Ils se sont mariés
Ont élevé leurs enfants
Ont beaucoup travaillé
Ont défié le temps 
Parents plus que parfaits
Famille presque idéale
Si bien que le succès
Semblait chose normale

Ils ont fait ce qu’il faut
Sans jamais ne dire mot
Ni de l’un, ni de l’autre
Ni de l’un, ni de l’autre

Bien sûr quelques accros
Des petites bouderies
Parfois de vilains mots
Une ou deux tromperies
Valait-il mieux mentir?
Fallait-il tout briser?
Ne sont pas bonnes à dire
Toutes les vérités

Puis il y a de ces compromis
Qu’ils n’ont pu éviter
Des projets en sursis
Des rêves abandonnés
Peut-être quelques lambeaux
D’une riche existence
Entraînés par les flots
De froides indifférences

Ils ont fait ce qu’il faut
Sans jamais ne dire mot
Ni de l’un, ni de l’autre
Ni de l’un, ni de l’autre

Ensemble maintenant
Dans un épais silence
Ils vivent le présent
Comme une récompense
Lui au téléjournal
Elle aux téléromans
Erreur sentimentale
Heureux de faire semblant

Ils ont fait ce qu’il faut
Sans jamais ne dire mot
Ni de l’un, ni de l’autre
Sans jamais ne dire mot
Ni de l’un, ni de l’autre

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Infidèle

 

J’ai abordé le thème de la séparation du couple (Ne me cherche plus) et je vous ai parlé du couple qui sombre dans l’ennui (Erreur sentimentale). Aujourd’hui, il sera question de cette « voie de passage » qu’empruntent 20 à 30 % des hommes et 15 à 20 % des femmes : l’infidélité. Pourquoi emprunter cette voie plutôt que les deux précédentes? Voici ce qu’en dit le psychologue et sexologue Yvon Dallaire* :

« Les motifs de l’infidélité peuvent être aussi variés que les situations ou les personnes, mais ils sont généralement la conséquence d’un déséquilibre affectif du couple et impliquent habituellement l’ennui, la solitude et les frustrations de toutes sortes. L’infidélité est souvent une tentative maladroite d’équilibrer, émotivement ou sexuellement, un couple. » Et M. Dallaire regroupe les motifs de ce choix en différentes catégories :

 

1. Les motifs prétextes : « C’est à la mode. Tout le monde le fait, fais-le donc. » « Il est impossible de rester monogame aujourd’hui. » « Une femme libérée se doit d’avoir des amants. » « L’être humain est un animal polygame. » « Pourquoi je m’en priverais. » « Je veux profiter de ma jeunesse. » Toutes ces argumentations sont dues à l’affaiblissement des inhibitions et à une plus grande permissivité sexuelle.

 

2. Motifs relationnels : tentative pour échapper au contrôle de l’autre ou pour attirer son attention ou par esprit de vengeance, suite à une importante transition de vie (naissance, décès, anniversaire...), une simple opportunité à l’occasion d’un 5 à 7, d’un congrès... besoin de distraction combiné au stress du travail et de la famille.

 

3. Motifs inconscients : compenser des blessures ou des frustrations de l’enfance ; problème familial non résolu qui se transmet de génération en génération. Dans neuf cas sur dix, les parents de l’époux infidèle, du partenaire ou des deux partenaires ont été infidèles, même si le partenaire infidèle en est inconscient ou refuse cette réalité.

 

4. Mais le motif le plus fréquent est le déséquilibre conjugal sexuel ou affectif dans le couple, conduisant vers une recherche de satisfaction sexuelle ou d’intimité affective ailleurs.

 

La meilleure façon de prévenir l’infidélité reste donc de nourrir notre couple, d’en faire un lieu sûr (la bonne foi des deux partenaires étant la première condition). Mais si elle survient, cette infidélité, comment est-il possible de réparer les blessures? Pour répondre à cette question, je vous laisse aux bons soins de M. Dallaire dont l’expérience professionnelle sur le sujet vaut plus que la mienne (référence au bas de cette page). »

Chose certaine, cette voie, si on la choisit, comporte des risques et entraîne son lot de souffrances. C’est ce que j’ai voulu faire ressortir dans ce texte intitulé Mais moi je t’aime.

 

* Prévenir ou survivre à l'infidélité, Yvon Dallaire, psychologue et sexologue, dans Psycho-Ressources

Mais moi je t’aime

Tu arrives vers midi

Tu entres et aussitôt

« J’ai une heure et demie »

Ce sont tes premiers mots

Tu te glisses dans mon lit

Tu me colles à la peau

Tu t’arraches, je te supplie

De ne pas partir si tôt

 

Tu crois que c’est facile

D’être là à t’attendre

Le corps en avril

Le cœur en novembre

Mais moi, vois-tu, je t’aime

Je t’aime…

 

Je sais, tu me l’as dit

On t’attend au bureau

Puis à la garderie

Où tu prends tes marmots

Et tu me diras aussi

Que tu ne peux le quitter

Pour l’amour des petits

Que tu ne veux pas blesser

 

Mais qui suis-je dans ta vie

Sinon ce passager

Qui trompe ton ennui

Sur ta route désertée

Qui suis-je dans ta vie

Sinon ce passager

Laissé sur le parvis

De ton cœur emmuré

 

Tu crois que c’est facile

D’être là à t’attendre

Le corps en avril

Le cœur en novembre

Mais moi, vois-tu, je t’aime

Je t’aime…

Mais moi, vois-tu, je t’aime

Je t’aime…

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Après avoir abordé les thèmes de la rupture, de l’ennui et de l’infidélité, voici le thème de la peur de l’engagement. Dans une relation où l’un des partenaires a peur de l’engagement, il peut y avoir « apparence d’amour », ce qui complique l’identification du malaise. La relation peut paraître harmonieuse, mais, en fait, elle n’évolue pas vraiment sur le plan affectif, elle demeure « figée ». C’est pourquoi il n’est pas rare que la personne qui se trouve aux côtés d’un phobique de l’engagement se sente dévalorisée dans la relation, sans trop comprendre pourquoi. 

Avoir peur de l’engagement, c’est avoir peur de quoi au juste? Peur de l’échec, peur de souffrir, peur de décevoir, peur de perdre sa liberté et son pouvoir d’agir… Les cliniciens de la relation amoureuse vous diront que cette peur cache souvent des angoisses associées à des blessures passées ou à un manque de confiance en soi qui fait craindre une perte de son espace psychologique. 

Si vous voulez savoir si vous êtes en relation avec un phobique de l’engagement, parlez-lui de projets communs... Vous le verrez multiplier les comportements de fuite! Souvent, le phobique de l’engagement se défilera subtilement, puisque l’affirmation de soi (dans une relation affective) n’est pas sa force. Se tenir à distance sur le plan relationnel ou même adopter des comportements « détestables » dans le but plus ou moins conscient de provoquer la rupture, voilà plutôt sa manière d’agir.

Voici les paroles d’un homme qui fait le point avec sa partenaire phobique de l’engagement. 

Je partirai

Si tu veux faire de moi

Une habitude

Si tu veux que l’on soit

Deux solitudes

Je te dirai simplement

Que je ne suis pas doué

Pour les amours absents

Et je partirai…

 

Si tu veux faire de moi

Un ami, un amant

Me garder près de toi

Pour calmer tes tourments

Je regagnerai mon île

Car je n’suis pas doué

Pour les amours utiles

Pour les amours cachés

 

Si tu veux que l’on soit

Des amoureux

Je te dirai tout bas :

Ferme tes yeux…

Si encore tu me vois

Parmi tant de choses

Je garderai pour moi

Mes poèmes et mes roses

Et je partirai…

 

Si encore tu me vois

Parmi tant de choses

Je garderai pour moi

Mes poèmes et mes roses

Et je partirai, je partirai

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Vous connaissez sans doute des personnes qui souhaitent vivre une relation amoureuse, mais qui n’y parviennent pas. Elles ne trouvent pas le type de personnes correspondant à leurs désirs, elles n’osent plus s’engager parce qu’elles ont été déçues ou échaudées, elles n’ont pas les aptitudes psychologiques requises pour vivre une relation intime ou encore elles se voient victimes des lois sans pitié du « marché de la séduction » (dure réalité : le marché de la séduction, avec ses normes et ses exigences, existe bel et bien), bref, elles se retrouvent seules et leur solitude est vécue dans l’attente. On le sait, l’attente est souffrance. « C’est documenté », dirait sans doute le personnage principal des excellents romans de David Goudreault*. Oui, oui, c’est documenté! C’est Bouddha qui le disait : l’attente contamine notre présence à nous-mêmes et au monde qui nous entoure…

 

Attendre l’amour, c’est comme attendre le printemps, un printemps hésitant, un printemps qui tarde à nous réchauffer.

* La bête à sa mère, La bête et sa cage et Abattre la bête de David Goudreault, trois romans publiés aux Éditions Stanké.

L’amour se hasarde

Le froid baisse la garde
Mais refuse de se rendre
Le printemps se hasarde
Survit à la tourmente…
Les feuilles d’un vert tendre
Frémissent dans les arbres
Elles frissonnent, elles tremblent
Le ciel reste de marbre…   
 
Le printemps se hasarde
Ne jamais se surprendre
Si encore il tarde… 

Le printemps se hasarde
Et l’amour lui ressemble
Vraiment à s’y méprendre! 


Comme lui il se farde
Et d’humeur gaillarde
M’enlace, m’enguirlande…
L’amour se hasarde
Et sa beauté m’enchante

L’amour se hasarde
Ne jamais se surprendre
Si encore il tarde… 

L’amour se hasarde
Le froid fourbit ses armes
Souvent le froid poignarde
D’autant l’amour se cambre
Le voilà sur ses gardes
Prêt à se défendre
Beauté dont il se targue
Ne vient pas sur commande…

L’amour se hasarde
Ne jamais se surprendre 
Si encore il tarde…

L’amour se hasarde
L’amour se fait attendre
Un jour il se fait tendre
Un jour il est de marbre
Il me raille, il me nargue
Parfois me vilipende… 
Seul sous mon arbre
Je frissonne, je tremble

L’amour se hasarde
Ne jamais se surprendre 
Si encore il tarde… 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

L’amour qui dure
 
« Un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne. » - Edgar Morin

Je terminerai cette série de chroniques sur la relation amoureuse en vous parlant de l’amour qui dure. Qui dit « durée » dit « temps », n’est ce pas? Alors voici un mot sur le temps. « Qu’est-ce que le temps? » demandait le philosophe Augustin d’Hippone. « Si personne ne me le demande, je le sais; mais, si on me le demande, et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus »*. Ce vieil Augustin avait bien raison : que pouvons-nous réellement dire du temps? Qu’il passe vite, qu’il nous échappe, qu’il nous manque ou, au contraire, qu’il est « long » lorsque nous sommes ennuyés par une situation. Nous dirons encore que nous passons du bon temps ou, à l’inverse, que nous passons « un mauvais quart d’heure ». Bref, le temps semble se définir à partir de l’expérience que nous en faisons. 

Chacun sait que « s’atteler » pour mener sa vie au quotidien, assumer ses responsabilités au travail ou en famille, etc., nous oblige à des activités parfois laborieuses et détermine un certain rapport au temps. En revanche, des activités comme méditer, lire de la poésie, écouter de la musique, contempler la nature ou une œuvre d’art, danser, fêter, faire l’amour, etc., engagent d’autres dimensions de notre être et nous font vivre un rapport au temps qui est tout autre. Un temps pour l’extériorité et un temps pour l’intériorité, un temps pour Mars et un temps pour Vénus, un temps pour courir et un temps pour nous enraciner ou pour nous élever. Sur nos montres, le temps reste pourtant le même, mais la perception que nous en avons change selon ce que nous vivons « pendant ce temps ». 

En Occident, le temps pour l’intériorité tend à disparaître, du moins dans l’organisation sociale de la vie. Le travail, les activités sociales, la consommation sont sur le mode « ça presse », et cela 7 jours sur 7 et parfois 24 heures sur 24… Pour plusieurs d’entre nous, le bouton de la fonction « toujours plus, toujours plus vite » est maintenu enfoncé toute la vie durant, et jusqu’à ce que mort s’ensuive! Nous aimons l’action pour maintes raisons, bonnes et moins bonnes. Temps d’intériorité? Si peu. De temps en temps, quand nous avons le temps!

L’amour, si nous le vivons pour ce qu’il est vraiment (car il y a toujours moyen de le réduire à peu de chose) est une expérience susceptible de nous placer dans un rapport au temps qui nous révèle une dimension spirituelle (au sens large du terme) de notre être. L’amour n’est-il pas une manière d’habiter le temps? L’amour n’est-il pas avant tout « présence », présence à soi d’abord, et présence aux autres, au monde, à la nature? Une présence qui nous rend aptes à voir le beau chez l’autre et dans le monde qui nous entoure? 

Voici un texte qui révèle un amour engagé, empreint de désir, nourri de promesses, rempli de tendresse, et dont on dira un jour qu’il a duré. Le temps et l’éternité s’entremêlent parfois, se laissant entrevoir ensemble, dans des instants fabuleux.

* Augustin d’Hippone (St-Augustin), philosophe, 354 – 430.

La courbe de tes hanches

La courbe de tes hanches
Me rappelle nos dimanches
Ces jours pleins de promesses
Qui berçaient notre jeunesse
Tu te souviens, on flânait
Le temps nous caressait
On cherchait le meilleur
Quelque part ailleurs
C’était des jours féconds
Sans bruits, sans prétentions

 

La courbe de tes hanches
Mes désirs, tes romances
Et le temps comme la vie
Nous semblaient infinis

La courbe de tes hanches
Me rappelle ces dimanches
Avant que toutes envies
Ne doivent être assouvies
Et que pour seul espoir
Ne comptent que nos avoirs…
On cherchait le bonheur
Quelque part ailleurs
C’était des jours féconds
Sans bruits, sans prétentions

La courbe de tes hanches
Mes désirs, tes romances
Et le temps comme la vie
Nous semblaient infinis

La courbe de tes hanches
Et nos jours s’endimanchent…
Nos jours pleins de tendresse
Qui font notre richesse 
Demain je ne serai plus…
Pourquoi aurai-je vécu?
Pour ce qui nous dépasse 
Pour nos moments d’extase 
Pour nos féconds dimanches
Pour la courbe de tes hanches

La courbe de tes hanches
Tes regards, mes silences
Et le temps qui s’enfuit
M’emporte avec lui

Et le temps qui s’enfuit
M’emporte avec lui…

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Je vous ai déjà parlé d’Albert Jacquard, ce généticien qui a notamment écrit L’équation du nénuphar, un petit bouquin qui nous fait bien saisir à quel point nous sommes au bord d’une catastrophe écologique (voir Rien de surprenant). Albert Jacquard est décédé en 2013. Parmi les réactions exprimées dans la communauté scientifique, celle d’un autre savant, l’astrophysicien Hubert Reeves, m’a particulièrement touché par sa justesse. Reeves disait ceci de Jacquard : « c’était un homme qui s’intéressait à ce qui vaut la peine d’exister ». Qu’est-ce qui vaut la peine d’exister? La vie elle-même, et la conscience humaine, puisque c’est par elle que nous avons le pouvoir de préserver la vie et de la vivre pour ce qu’elle a de beau, de bon, de vrai. C’est par elle, la conscience, que nous connaissons et que nous reconnaissons.

 

N’est-ce pas curieux de constater que ce sont les plus grands savants qui, bien qu’ils soient capables de nous faire voyager dans les plus hautes sphères de la connaissance scientifique, savent le mieux reconnaître que ce qui importe plus que toute autre chose est souvent à notre portée, juste là, tout près, tout près?

Je cherche la vérité

Je cherche, je cherche la vérité

Je cherche et je ne trouve pas

Peut-être qu’elle est trop bien cachée

Peut-être qu’elle est si près de moi…

 

Je cherche au loin la vérité

Et ce matin encore une fois

Le soleil s’est mis à briller

Je n’ai pas vu qu’il était là

 

Je cherche ailleurs la vérité

Et ceux qui m’aiment ouvrent leurs bras

Mais je suis si, si occupé

Que j’oublie même qu’ils sont là

 

Je cherche toujours la vérité

Même si la vie se moque de moi

Cette vie que je crois maîtriser

Mais qui me glisse entre les doigts

 

Je cherche encore la vérité

Peut-être qu’un jour elle s’amènera

Qu’elle me frappera avec dureté

Ou qu’elle me viendra dans la joie

 

Je cherche, je cherche la vérité

Et tout à coup j’entends ses pas

Le temps se coiffe d’éternité

Et le présent s’offre à moi

 

Demain peut-être je l’entendrai

Je l’entendrai me dire tout bas :

Ce qui vaut la peine d’exister

C’est avec le cœur qu’on le voit

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Octobre est le mois de la sensibilisation au cancer du sein. Je vous présente aujourd’hui un texte que j’ai écrit pour Anne-Marie, décédée de cette maladie à l’âge de 34 ans, il y a 26 ans de cela. Elle était ma conjointe et la mère de nos deux enfants. 

Anne-Marie m’a beaucoup parlé avant de mourir, parlé véritablement, comme on le fait quand l’heure est grave. Chaque mot était bien pesé et portait sa part de vérité. Elle estimait qu’il était trop tard pour guérir « physiquement », mais elle souhaitait au moins guérir « psychologiquement », c’est-à-dire « entendre le message de sa maladie », pour emprunter les mots du psychanalyste Guy Corneau.* Devenir consciente de ce qu’elle portait lui aura permis de faire « une certaine paix » avec elle-même avant de nous quitter. 

Une intuition profonde l’avait d’abord persuadée qu’un conflit intérieur était à l’origine de sa maladie. Elle a eu ensuite l’impression de saisir ce qui s’était passé en elle, tout d’un coup, comme si la foudre lui était tombée dessus. Ayant depuis longtemps ressenti une sorte d’empêchement à se tourner vers l’avenir, elle eut soudainement la profonde conviction que c’était son propre mouvement de rétention de la vie qui la détruisait. Elle éprouva avec force et clarté le sentiment que son énergie vitale, enfermée au cœur de ce conflit intérieur, n’avait d’autres options que de se déployer de manière anarchique. Et cela n’était pas ressenti comme un simple feeling, comme une vague impression, mais plutôt comme une certitude, tel qu’il en est lorsque nous faisons une véritable prise de conscience. 

Anne-Marie n’était pourtant pas différente de vous et moi sur le plan psychologique : des blessures, la fabrication d’une carapace pour s’en défendre, une carapace qui finit par devenir un personnage, et un personnage qui étouffe la vie que l’on porte… Nous nous sommes tous construit de cette manière, amassant quelque part en nous une provision de petits ou de gros nœuds qui se resserreront avec le temps. Mais parfois le combat que l’on mène pour les dénouer produit une telle énergie que l’on a l’impression de porter en soi une bombe à retardement.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai lu, vingt ans plus tard, le livre de Guy Corneau intitulé Revivre, où l’auteur décrit son expérience de la maladie (un cancer très avancé) et celle de sa guérison. Je retiens, entre autres, cette phrase dont le sens s’apparente à celui que traçait intuitivement Anne-Marie : « notre personnage protecteur s’oppose à notre individualité créatrice qui, elle, veut s’ouvrir au mouvement de la vie […] ». On peut reconnaître les signes d’une individualité créatrice bâillonnée : sensation d’être privé des saveurs de la vie, d’être fatigué de soi-même, de marcher dans un couloir sans issue. Peut-être est-ce alors le moment d’agir pour sauver notre peau, de faire les choix qui s’imposent, probablement les choix les plus difficiles que l’on a eu à faire, puisque nous ne les avons pas faits jusqu’ici. Choix que l’on ne fera peut-être pas, choix trop difficile. Ne jugeons pas : personne n’est à l’abri de cette « faiblesse du courage ». Mourir n’est pas un échec!

La description que je fais ici de l’expérience d’Anne-Marie, de même que la référence à celle de Guy Corneau, ne prétend aucunement expliquer l’apparition du cancer. Il s’agit plutôt de regarder cette maladie sous un angle différent de celui que nous offre la médecine occidentale; un angle parmi plusieurs autres puisqu’il y a encore bien d’autres points de vue à partir desquels on peut regarder cette maladie. À ce propos, Josée Blanchette**, dans son récent livre sur le sujet, fait référence à une chercheuse qui étudie les cas de rémission spontanée (K.A Turner, diplômée de Harvard et de Berkeley, au cas où le charlatanisme vous effraierait) et qui affirme ceci : « Les cas de rémissions spontanées ne sont peut-être pas explicables – pour le moment – mais ils sont vrais. Ces gens ont guéri du cancer de façon inattendue d’un point de vue statistique. »

La chercheuse questionne d’ailleurs l’expression « rémission spontanée », qu’elle tend plutôt à remplacer par « rémission radicale ». Pourquoi? Parce que ces rémissions ne sont pas aussi spontanées qu’on le dit. « Ces gens-là ont fait quelque chose », dira-t-elle, et elle relève d’ailleurs neuf facteurs découlant de ses observations : 

•    Changer radicalement son alimentation
•    Prendre sa santé en main
•    Suivre son intuition
•    Prendre des suppléments et des plantes médicinales
•    Libérer les émotions refoulées
•    Cultiver les émotions positives
•    Miser sur le soutien social
•    Approfondir sa spiritualité
•    Avoir de bonnes raisons de vivre

Certains miseront davantage sur un aspect, d’autres sur un ou plusieurs autres. Certes, la relation de cause à effet ne paraît pas évidente à établir, mais tout indique qu’il y a là un phénomène auquel il y a lieu de s’intéresser. Le financement pour la recherche est cependant plus difficile à obtenir quand il n’y a pas de médicaments à vendre au bout, soulignera la chercheuse. En attendant que l’on puisse s’appuyer sur des « des données probantes », comme disent les scientifiques, admettons au moins que ces observations sont porteuses d’espoir et que l’idée qui s’en dégage peut certainement être classée dans la catégorie des choses « bonnes à penser ». Profondeur et perspective ne causent généralement pas de torts.

Voici Erreur sur la personne, un texte qui traduit, en condensé, les émotions, sentiments, pensées exprimés par Anne-Marie dans les jours qui ont précédé son décès. En se dévoilant ainsi, Anne-Marie a transformé sa mort en un acte de générosité.

* Guy Corneau, Revivre, notamment le chapitre 4 : L’écart entre soi et soi-même, Éditions de L’Homme 2010.

** Josée Blanchette, Je ne sais pas pondre l’œuf, mais je sais quand il est pourri, Flammarion, 2016, notamment le chapitre intitulé : Rémission spontanée ou radicale. Ce livre aurait certainement beaucoup plu à Anne-Marie pour ce qu’il raconte, pour le ton, pour la plume!

Erreur sur la personne

Je sais que j’peux pus m’en sortir
Qu’il va falloir que j’abandonne
J’me sens pas prête à mourir
À peine si je verrai l’automne
Quelqu’un peut-il m’expliquer
Pourquoi déjà ce compte à rebours
La mort a l’air pas mal pressée
Elle pourrait bien attendre son tour

Déjà mon heure qui sonne
Bien trop courte ma vie
Y’a-t-il erreur sur la personne?
Moi mon nom c’est Anne-Marie 

J’ai jamais su comment m’ouvrir
Aux émotions, aux sentiments 
Si je pouvais au moins guérir 
De ce mal que j’ai en dedans 
J’savais pas quoi faire de ma vie
Comment sortir de ma cuirasse
On dirait qu’c’est ma maladie
Qui s’est exprimée à ma place…

 

Déjà mon heure qui sonne
Bien trop courte ma vie
Y’a-t-il erreur sur la personne?
Moi mon nom c’est Anne-Marie 

J’voudrais qu’tu dises à nos enfants
Que jamais je n’aurais voulu
Leur laisser sur mon testament
La douleur d’un amour perdu…
Je te les laisse en toute confiance 
Je sais que tu les protégeras
Et si d’l’autre bord y’a une Providence
Je la prierai de veiller sur toi

Pour eux maintenant tu devras vivre
Ne jamais t’en sentir coupable
C’est de tes rêves, de tes désirs
Que naîtra l’amour véritable
Je voudrais tant qu’ils trouvent en toi
La plus grande des vérités
La force vive d’un cœur qui bat
Et qui donne le droit d’exister

Déjà mon heure qui sonne
Bien trop courte ma vie
Y’a-t-il erreur sur la personne?
Moi mon nom c’est Anne-Marie 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Les élections présidentielles américaines me rappellent à quel point je me sens loin des valeurs prônées par nos voisins du Sud. Étrange, cette société, n’est-ce pas? À peine si le terme « société » est approprié pour décrire cette somme d’individus unis, en fait, par des valeurs qui les divisent. Partisans d’une forme de méritocratie (privilèges et pouvoir obtenus par le mérite), adeptes du « chacun pour soi », dressés les uns contre les autres et incapables de renoncer au désir de se faire justice par eux-mêmes, que signifie donc « vivre ensemble » pour les habitants de ce pays? Et que penser de ce « rêve américain » qui les anime toujours, cette idée selon laquelle tout un chacun peut devenir prospère grâce à sa détermination et à ses efforts? Quel mythe! Quelle illusion! S’il est un endroit au monde où l’égalité des chances est réduite au minimum, c’est bien aux États-Unis!

 

De nombreux observateurs l’ont déjà souligné : ce pays est rempli de contradiction! Un peuple qui fait sans cesse référence à Dieu (God Bless America), mais qui a aussi un souci « impérial » de protéger ses intérêts économiques dans le monde, en prenant tous les moyens nécessaires, aussi douteux soient-ils sur le plan éthique. Un système politique complexe, se voulant des plus démocratiques, mais aussi une production effrénée de discours propagandistes (la propagande n’est-elle pas contraire à la démocratie?) qui ont pour fonction de camoufler la vérité, de promouvoir des idéaux chimériques (self-made-man, quête du bonheur-richesse matérielle, etc.) ou qui font valoir le bien-fondé d’être armé jusqu’aux dents, de faire la guerre, de se tirer dessus à bout portant (et l’on s’y prend de plusieurs manières : discours politiques, relations publiques, productions cinématographiques, offensives publicitaires, etc.). Haut lieu des sciences et de la technologie (pensons seulement à la NASA), siège des plus grandes universités, mais produisant près de 40 % de son énergie avec du charbon (comme au XIX ͤ  siècle!) et comptant une population à 20 % climatosceptique. Et combien d’autres contradictions encore pourrions-nous ajouter à cette liste? Allez donc comprendre!

 

Dans le texte qui suit, je dresse un portrait de l’Américain, non pas ce gentil vacancier que vous rencontrez sur les plages de la côte Est ou ce sympathique consommateur qui habite les centres commerciaux, mais plutôt l’Américain idéalisé, le modèle d’homme et de femme qui inspire tant de citoyens de ce pays et d’ailleurs. Ce modèle, c’est celui de la réussite, celle qui équivaut à « posséder » et qui se calcule en million de dollars. Dans ce pays, celui qui « réussit » est adulé, même s‘il est bête comme un âne!

 

Vous constaterez que le nombre de rimes, dans ce texte, est limité à deux par couplet et un seul pour le refrain. Petite épreuve d’écriture que se donnent parfois les auteurs, pour le simple plaisir de relever le défi, mais aussi pour l’effet harmonieux que peut en capter l’oreille.

Je suis un Américain

De mon pays je suis l’emblème

L’homme nouveau, réinventé

J’ai le culte de moi-même

De la jeunesse, de la beauté

Je suis la crème de la crème

Je suis le rêve réalisé

Je récolte ce que je sème :

Une fortune bien méritée

 

Je suis un Américain

Jamais petit, jamais moyen 

Je me réclame du Divin

Mais je garde une arme à la main…

 

Ma banque est une cathédrale

La bourse lui tient de tabernacle

J’y place le précieux métal

Il fructifie comme par miracle

Devant mon puissant capital

Volent en éclat tous les obstacles

Et je m’élève au rang d’étoile

Et je me donne en spectacle

 

Je suis un Américain

Jamais petit, jamais moyen

Je me réclame du Divin

Mais je garde une arme à la main…

 

Je suis le roi d’un monde fou

Que l’on admire pour ses prouesses

Mes frères croupissent dans la boue

Faut-il donc que je m’abaisse?

Ne vaut que l’homme qui reste debout

À mon pays j’ai fait promesse

L’homme pour l’homme est un loup

Malheur à qui montre faiblesse

 

Je suis un Américain

Jamais petit, jamais moyen

Je me réclame du Divin

Mais je garde une arme à la main…

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Le texte que je vous présente aujourd’hui, je l’ai écrit expressément dans le but de dénoncer les violences que font subir à la planète et aux humains qui l’habitent ceux qui n’ont d’autres aspirations que celle de la richesse. Entendons « la richesse matérielle »,  la seule qu’ils connaissent, me semble-t-il. Ils sont parfois anonymes, parfois connus pour tenir les rênes du néolibéralisme ou pour en prôner les vertus. Ils propagent des idées floues sur l’économie, à saveur de slogans, nous laissant croire en leurs bonnes intentions dont la plus répandue est qu’il faut produire de la richesse pour pouvoir la partager — ce qu’ils ne font jamais, par ailleurs. 


Il serait commode de penser qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, qu’ils sont eux-mêmes l’objet d’un système devenu plus fort qu’eux, d’une idéologie qui les empoisonne. Mais il n’en est rien. Dans un récent article*, le philosophe Normand Baillargeon, s’appuyant sur un constat d’Alex Carey (psychologue social 1922-1987),  suggère que « trois phénomènes d’une importance politique considérable ont défini le XX ͤ siècle : 1) la progression de la démocratie; 2) l’augmentation du pouvoir des entreprises et 3) le déploiement massif de la propagande dans le but de maintenir les entreprises à l’abri de la démocratie ». Dans ce texte percutant, Baillargeon rappelle les origines de la pratique des « relations publiques » dont l’intention, on s’en doutera, est de manipuler l’opinion publique par une opération que leurs fondateurs ont appelée « la fabrication des consentements ». Il dénonce évidemment ce manque flagrant de respect pour la démocratie qui, au contraire, exige un consentement éclairé appuyé sur une information la plus objective possible. « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire », disait Chomsky, et c’est ce que nous rappelle Baillargeon en le citant en épigraphe. 


Le texte Comme des vautours, parce qu’il est soutenu par un sentiment de révolte, a été qualifié « d’adolescent » par un auteur-compositeur-interprète qui, à ma demande, a gentiment accepté de le commenter. J’en fus d’abord offusqué, jusqu’à ce que je me souvienne qu’adolescent, je préférais mes idéaux à tout autre chose, et que ces sursauts de colère qui m’animaient mettaient souvent en lumière les non-sens de cette vie que nous menons avec trop peu d’attention… et de respect. Tendre révolte, la plupart du temps, que celle des adolescents! Vous vous souviendrez peut-être de ces paroles de la chanson intitulée Utile, écrite par Étienne Roda-Gil et interprétée par Julien Clerc : « À quoi sert une chanson si elle est désarmée? ». Autrement plus déterminé, celui-là! 

Cela dit, je suis d’avis que ceux qui entraînent l’humanité entière vers une catastrophe doivent être pointés du doigt. Si l’adolescent en nous, effervescent et idéaliste, nous y conduit, alors vive l’adolescence et tant mieux pour l’humanité! 


* Baillargeon, Normand, Edward L. Bernays et l’invention du gouvernement invisible dans La dure école, Leméac, 2016, p 13 à 35.
 

Comme des vautours

Seul s’enrichir les anime
Ils y trouvent le parfait bonheur
Qu’importe s’ils commettent des crimes
Qu’importe s’ils sèment le malheur
Et ils agissent sans remords
Comme s’ils ne vivaient que de haine
Faut-il croire qu’ils ignorent
La valeur de la vie humaine

Ils tournent autour
Comme des vautours
Avalent ton esprit
Et ton âme aussi

Tu les trouveras à ta droite
Refusant toute liberté
À ceux qui ne portent cette cravate
Qui autorise à escroquer
Tu les sauras de convictions
Puisqu’ils sont tous convertis 
À cette même religion
Dont la doctrine est le profit 

Ils tournent autour
Comme des vautours
Avalent ton esprit
Et ton âme aussi

Ils ont fabriqué des humains
Conçus pour être leurs complices
Des femmes qui s’en lavent les mains 
Des hommes qui les applaudissent
Elle est efficace leur machine
Elle tue dans l’œuf toute rébellion
Car tout en elle nous destine
À servir leurs ambitions

Et je te vois tout impuissant
Devant ces rois un peu débiles 
Qui espèrent plus en leur argent
Qu’en une terre belle et fertile
Et je te vois qui sonnes l’alarme 
Et qui le fais si sagement
Avec tes mots pour seule arme
Repousseras-tu la mort à temps?

Ils tournent autour
Comme des vautours
Avalent ton esprit
Et ton âme aussi

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Ce texte, je le dédie à tous les parents qui ont un enfant « différent » (euphémisme pour dire « handicapé ») et qui ont su l’aimer et l’aider à se développer au meilleur de ses capacités. Dans ce monde où les egos sont gonflés à bloc et où on ne pense qu’à bien paraître, qu’à performer et qu’à se démarquer, vivre avec un enfant qui a des limitations devient un réel défi. Ce n’est certainement pas en s’appuyant sur ces valeurs ambiantes que ces parents peuvent relever un tel défi. Le paraître, la performance, l’ego trip ne sont jamais très utiles pour relever un défi de cœur…

 

L’enfant différent demande beaucoup, mais il donne aussi beaucoup. Avoir un enfant différent oblige à vivre autrement, à aimer autrement. L’âme humaine est paresseuse, c’est souvent « par la force des choses » qu’elle s’élève et qu’elle force nos cœurs à accroître leur capacité d’amour et de tolérance…

À petits pas

Je ne suis pas dans l’air du temps
Je ne suis pas des grands voyages
Ni de ceux qui marchent devant
En montrant leurs plus beaux ramages
Je ne suis ni prince ni roi
Dans ce monde de railleurs
Mais je suis le meilleur qui soit
Pour qui me voit avec son cœur 

Le monde m’enferme dans ses replis
Mes mots se perdent dans la nuit
Mais j’ai le cœur rempli de toi 
Alors j’avance à petits pas 

Dans ton regard plein de lumière
J’ai puisé toute mon énergie
Oh! J’ai bien eu quelques misères
Mais ton amour a porté fruit
J’ai apaisé tous mes sanglots
Et j’ai marché à petits pas
Regarde maintenant comme je suis beau
Le cœur léger, vibrant de joie 

Le monde m’enferme dans ses replis
Mes mots se perdent dans la nuit
Mais j’ai le cœur rempli de toi 
Alors j’avance à petits pas
J’avance, j’avance à petits pas 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

« Aimer une personne, c’est pouvoir se réjouir de son existence », dit le philosophe Comte-Sponville. Comprenons ici que « se réjouir », c’est-à-dire « éprouver de la joie », va bien au-delà de la simple satisfaction d’un besoin, d’un manque. « La joie est la manifestation de notre puissance vitale, de notre consentement à la vie », dira à son tour le philosophe Frédéric Lenoir. « Éprouver de la joie » est une expérience qui appartient à chacun en propre : contrairement au bonheur, qui est souvent fortuit, circonstanciel, la joie nous vient surtout de notre angle de vue sur les choses, sur la vie. Ainsi, se réjouir, c’est pouvoir dire : « j’éprouve une joie à vivre ma vie » et se réjouir de l’existence de l’autre, c’est pouvoir dire : « j’éprouve une joie à vivre ma vie, et plus encore parce que tu en fais partie! ». 

Si je ne peux me réjouir de l’existence de cet autre à qui je donne une place dans ma vie, je devrai d’abord m’interroger sur ma propre capacité à me réjouir : suis-je seulement capable d’aimer ma vie ou suis-je plutôt dans un état constant d’insatisfaction, espérant toujours mieux, toujours plus? Ou encore m’interroger à propos de la place qu’occupe cet autre dans ma vie, car j’ai pu le désirer ou aimé être désiré par lui, j’ai pu, par sa présence, combler un manque, apaiser des blessures, mais puis-je maintenant l’aimer tel que je le découvre? Puis-je être aimé par lui tel que je suis, tel que je deviens?  

Je peux évidemment me refuser à tout questionnement et tenter plutôt de « changer l’autre », de le « contrôler » pour qu’il corresponde à mon désir, pour qu’il se modèle à mes attentes. Dans cette voie, pourtant fréquemment empruntée, c’est l’impasse assurée!

Advient-il toujours cet amour qui est réjouissance? Et s’il advient, comment donc? Pourquoi donc? Enfance heureuse? Optimisme naturel? Travail sur soi? Chance? Sagesse acquise avec l’âge? Je ne saurais dire…  

Si vous pouvez aujourd’hui vous réjouir de l’existence de votre amoureux, de votre amoureuse, c’est que l’amour est là! Alors, oubliez cette longue formule philosophique et dites tout simplement : je t’aime! Saint-Valentin ou pas!
 

Avant elle

Avant elle
Je ne savais presque rien
Presque rien de la vie
Si peu de ce que je suis
Je me croyais malin
Je jouais les troubadours
Faisant de mes envies
Mes refrains, mes amours

Avant elle
Je n’avais pas compris 
Que le cœur d’une femme
Jamais plus ne s’enflamme
S’il est tenu pour acquis
Car la main qui le tient
Emprisonne son âme
Et l’amour s’éteint
Et le bonheur s’enfuit

Avant elle 
Je ne savais pas aimer
Mais elle m’est apparue
Belle et ingénue
Amante de liberté
Et de mon vrai visage
Je me suis reconnu
Libéré des mirages
De ma route désertée

Avant elle
Je ne savais presque rien
Presque rien de la vie
Si peu de ce que je suis

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Gaston Miron, notre poète national, « […] se fichait éperdument des bumpers, washers et wipers qui se glissaient le plus naturellement du monde dans nos conversations. Ce qui l’inquiétait, c’était les structures de notre langue, parasitées par les calques de l’anglais que nous reproduisions en toute insouciance »*. L’expression « bon matin » est justement l’un de ces nombreux parasites qui contaminent insidieusement notre langue. En cette journée internationale de la francophonie, cher lecteur, je te dis bonjour!

 

*Le « França » de France, Mouvement Québec français, mars 2012

Je te dis bonjour

Quand j’allume la radio

Quand j’arrive au bureau

Et que tu me dis « bon matin! »

Ça me casse les reins

Dis-moi plutôt « bonjour »

Ou encore sans détour

Un réel « good morning »

Si ça te donne le feeling

Qu’en anglais c’est plus chic

Plus pratique, plus logique

 

Mais moi je te dis bonjour

À toutes les heures du jour

Bonjour et sur mes lèvres

Ton nom et ce vieux rêve

D’une langue de velours

Qui sait parler d’amour

 

Ce serait bien plus facile

Submergé sur mon île

D’adopter tristement

La langue des géants

Mais qu’à cela ne tienne

Je préfère la mienne

La mienne sans les fantômes

Qui y logent, qui y trônent

Qui en chassent l’esprit

Pour n’en faire qu’une copie

 

Et moi je te dis bonjour

À toutes les heures du jour

Bonjour et sur mes lèvres

Ton nom et ce vieux rêve

D’une langue de velours

Qui sait parler d’amour

 

Quand tes mots s’affadissent

Il faut que tu choisisses :

Tu décores ton langage

De mots pris au pillage

Ou mieux tu vas au puits

De ta propre poésie…

C’est alors que surviennent

D’étranges phénomènes…

Et tes mots reprennent vie

Et ta langue s’embellit

 

Et moi je te dis bonjour

À toutes les heures du jour

Bonjour et sur mes lèvres

Ton nom et ce vieux rêve

D’une langue de velours

Qui sait parler d’amour

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Une brise légère

« La pensée est le sang qui afflue autour du cœur »*

Empédocle (philosophe grec - Ve siècle avant J.-C.)

 

Depuis le XVᵉ siècle, avec le philosophe Descartes, mais surtout depuis le XVIIIᵉ siècle (qu’on appelle le siècle des Lumières), la science nous a habitués à séparer l’émotion de la pensée, à bien distinguer le sujet de l’objet de manière à pouvoir cerner objectivement le réel et à déterminer les lois qui permettent de l’expliquer. Cette activité de séparation sujet-objet est au cœur de l’attitude scientifique et s’inscrit dans ces courants de pensée que l’on appelle en philosophie « le réalisme » (existence indépendante du monde) et « le matérialisme » (étude de la matière sans l’interférence de la subjectivité humaine). Depuis un demi-siècle, l’étude du réel se tourne de plus en plus vers la technique (moins de science fondamentale, plus de technoscience), vers la création d’outils technologiques de tout usage qui nous aident à « maîtriser » notre monde (pour le meilleur et pour le pire). Mais où donc nous a conduits cette séparation entre l’émotion et la pensée?

On doit évidemment reconnaître les bienfaits de cette séparation sujet-objet : elle permet d’objectiver le réel, de le comprendre et de s’outiller pour le transformer. Mais il faut toutefois dénoncer certaines dérives, comme le faisait déjà Einstein à son époque. Il nommait « réalisme simplet » cette attitude « férocement intellectuelle » qui veut absolument s’éloigner, disait-il, du « silence des espaces infinis ». Qu’est-ce à dire?

Einstein disait ceci : « J’éprouve l’émotion la plus forte devant le mystère de la vie. Ce sentiment fonde le beau et le vrai, il suscite l’art et la science. Si quelqu’un ne connaît pas cette sensation ou ne peut plus ressentir étonnement et surprise, il est un mort‑vivant et ses yeux sont désormais aveugles ». Il disait aussi que s’il n’avait pas été convaincu de l’harmonie de l’univers, il n’aurait pas pu découvrir la relativité. Newton énonçait un propos semblable en parlant du « grand océan de la vérité qui s’étendait devant lui, dans la totalité de son mystère ».

Einstein appelait ce sentiment « religiosité cosmique » en soulignant que « cette religiosité ne connaît ni dogme ni Dieu créé à l’image de l’homme et donc qu’aucune Église ne peut l’enseigner ». Il craignait que le matérialisme ambiant, par peur de cette religiosité, n’ait causé bien des dégâts (« religiosité » au sens premier du mot : sentiment d’être relié à l’univers ou sentiment de faire partie d’un tout).

Pour Einstein et pour plusieurs poètes et philosophes qui partagent sa vision, ce « sentiment cosmique » non seulement met en marche la véritable pensée, mais il contribue aussi à « régler la vie », c’est-à-dire à nous mettre « moralement » en accord avec l’univers et avec ce qui en fait partie : la vie, le monde, la société. À ses yeux, la base de la responsabilité morale et sociale se trouve là, dans ce sentiment de totalité qui nous conduit à éprouver un profond désir d’harmonie. Pour lui, si ce désir d’harmonie était présent dans le cœur des hommes, il s’en trouverait un plus grand respect des êtres humains, de la nature, des cultures, des arts et de la science elle-même.

Voilà pourquoi Einstein affirmait que le but de l’éducation est le « perfectionnement moral », perfectionnement qui, selon lui, doit passer par un apprentissage de la raison, par la connaissance et la réflexion, mais toujours sur le terrain sensible de ce qui nous relie aux autres, au monde, à l’univers. Dans l’esprit de ce génie, un clivage entre la pensée et l’émotion conduit à l’égarement de l’être humain. Sans l’émerveillement devant la vie, sans l’intention de poursuivre des objectifs supérieurs, sans le désir de rendre le monde plus humain, maîtriser le réel perd tout son sens. Maîtriser le réel devient alors la manifestation d’un désir appauvri et malsain de maîtriser pour maîtriser, de dominer pour dominer.

Certains auteurs ont abordé le thème de la « religiosité cosmique » en le nommant plutôt « sentiment océanique » et en insistant eux aussi sur le fait que ce sentiment peut habiter autant les athées que les croyants puisqu’il est exempt de tout dogme. C’est l’écrivain français Romain Rolland qui a proposé le terme « sentiment océanique », dans une correspondance avec Freud. Le psychiatre suisse C. G Jung a largement discuté de cette forme de religiosité dans ses écrits. D’autres encore ont relié ce sentiment océanique à l’instinct, cette aptitude à sentir et à agir de façon naturelle. Des personnes ayant agi « par instinct », pour sortir d’une impasse par exemple, ont en effet affirmé avoir ressenti avec force ce sentiment océanique : les bienfaits inespérés obtenus à la suite de leurs gestes leur ont donné le sentiment d’être connectés à « d’autres lois » (pensons aux personnes qui ont vécu des guérisons dites « spontanées » – voir la chronique « Erreur sur la personne »; pensons aussi à celles qui ont vécu des épisodes de « synchronicité »**). Plus récemment, des chercheurs ont relié l’instinct à une activité neuronale qui se déploie dans notre ventre, activité qui agirait comme un « deuxième cerveau » grâce auquel nous posséderions la faculté de « nous orienter dans la vie » en liant justement « pensée » et « émotions ».

On remarque souvent cette forme d’étonnement devant le réel chez les personnes qui explorent « le très grand » ou « le très petit » (en astronomie ou en biologie par exemple). Voici à ce propos ce que disait l’astronome Carl Sagan en regardant cette photo de la Terre intitulée le « Pâle point bleu » prise par la NASA au sortir de notre système solaire :

« On a dit que l'astronomie incite à l'humilité et forge le caractère. Il n'y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette image lointaine de notre monde minuscule. » « Regardez encore ce point. C'est ici. C'est notre maison. C'est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez et connaissez, tout le monde dont vous avez entendu parler, chaque être humain qui a déjà vécu sa vie. La somme de nos joies et souffrances, de milliers de religions aux convictions assurées, d'idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, héros et lâches, créateurs et destructeurs de la civilisation, chaque roi et paysan, chaque couple en amour, chaque mère et père, chaque enfant plein d'espoir, inventeur et explorateur, chaque professeur de morale, chaque politicien corrompu, chaque « vedette », chaque « chef suprême », chaque saint et pécheur de l'histoire de notre espèce ont vécu ici - un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. »***

Soyons clair, nous sommes ici dans le domaine de l’expérientiel, de l’hypothétique; loin de moi l’idée d’affirmer que ces propos pris çà et là prétendent à une quelconque vérité. Mon seul but est de réfléchir à la possibilité d’élargir notre pensée, et surtout de la doter d’un sens et d’une profondeur en lui offrant comme assise notre capacité d’étonnement et d’émerveillement. Évitons de tomber dans le sentimentalisme ou dans le délire, et non plus dans ce « n’importe quoi» qui conduit la pensée vers ce qu’il convient maintenant d’appeler « les faits alternatifs »!

Peut-être avez-vous vous aussi éprouvé cette « religiosité cosmique » ou ce « sentiment océanique ». Pas besoin d’être astronome, ni moine tibétain! On peut l’éprouver en posant un geste créateur (écrire, peindre, etc.), en regardant un ciel tout bleu ou un coucher de soleil, en écoutant le murmure d’un cours d’eau, en se laissant caresser par un vent chaud. Accompagner une personne vers la mort peut aussi nous entraîner dans ce genre d’expérience. Peut-être avez-vous reconnu cette agréable impression de correspondre à la fois à soi et à plus grand que soi, cette impression que le fini et l’infini s’unissent pour un court instant. Sans doute faut-il avoir une certaine disposition intérieure pour le ressentir, à tout le moins avoir la tête et le tronc reliés l’un à l’autre!

Je me suis inspiré de ces réflexions, mais aussi de mon expérience personnelle, pour écrire le texte qui suit. Bien que je sois un fervent adepte de la raison, il m’arrive de sentir qu’en mon âme habite une belle bergère (c’est ainsi que je me représente mon instinct) qui, de son souffle timide, guide mes pas dans ce vaste univers.

 

*Le propos tenu dans cette chronique a été largement inspiré d’un très beau texte de l’écrivain Yvon Rivard intitulé Ralentir travaux, tiré d’un ouvrage collectif sous la direction de Sébastien Mussi : La liquidation programmée de la culture – Quel cégep pour nos enfants?, Liber, 2016. Vous y reconnaîtrez l’emprunt de plusieurs citations, notamment celles du philosophe Empédocle et du physicien Einstein.

 

**Concept développé par Carl Gustave Jung, la synchronicité est l'occurrence simultanée d'au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l'association prend un sens pour la personne qui les perçoit.

 

***Cité par Paul Journet dans Prise de position pragmatique et nuancée sur l’univers, La Presse, 12 mars 2017

Une brise légère

Des hommes de sciences
Observent, étudient
Soumettent l’existence
Aux lois de l’esprit
Passent sous silence
L’essence de la vie
Des âmes en souffrance
En payent le prix

Les dieux ne sont plus
Les sages se sont tus
Qui me guidera?
Qui me guidera?

Un monde sans mystère
Une vie mise à nu
Des âmes qui errent 
Privées d’absolu
Des têtes qui génèrent
Des pensées sans but
Marquant les repères
De routes sans issues 

Les dieux ne sont plus
Les sages se sont tus
Qui me guidera?
Qui me guidera?

Et toi belle bergère
Qui jamais ne craint l’antre
Ta voix m’est familière 
Comme bruissement de mon ventre
Et ton souffle en moi
Telle une brise légère
Me dévoile tout bas
Mes leurres et mes travers
Puis disperse en éclats
Des rires ronds et clairs

C’est toi qui guideras
Ô belle bergère
Mes élans et mes pas
Dans ce vaste univers  

 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Pour que ton cœur l’entende

L’habitude a ses bons et ses mauvais côtés. L’habitude est « une disposition acquise par répétition » nous disent les dictionnaires. Par nos habitudes, on a l’impression de « s’habiter soi-même », de revenir à ce qui nous conforte. On entendra des gens dire, après un long voyage : « j’ai hâte de revenir chez moi pour reprendre mes habitudes ». C’est rassurant.


Mais l’habitude peut aussi encarcaner la vie, restreindre son mouvement. Il faut se méfier de l’habitude qui étouffe l’imagination, qu i instaure une routine dont on ne peut plus se libérer.


En couple, c’est la même chose! On ressentira souvent un attachement aux petites habitudes qui nous unissent : nos petits soupers, nos émissions préférées, nos activités sociales ou de plein air, nos manières d’être confortablement ensemble, sans mot dire parfois, puisque tout peut être deviné. Mais attention! la routine tue souvent les couples. Il faut savoir la briser de temps en temps, il faut savoir dire les choses essentielles… autrement. 

Pour que ton cœur l’entende

Je voudrais te le dire
Pour que ton cœur l’entende
Dans l’éclat d’un sourire 
D’une voix caressante
Je pourrais te l’écrire
D’une plume éloquente
Qui ferait retentir
Mes « je t’aime » les plus tendres
Je voudrais te le dire
Pour que ton cœur l’entende

Comment te dire je t’aime
Pour surprendre ton cœur
Comment te dire je t’aime
Pour surprendre ton cœur

Je voudrais te le dire
Pour que ton cœur l’entende 
Dans un profond soupir
D’une voix enivrante
Je pourrais te couvrir
De promesses aguichantes
Qui sait, te faire rougir
Me languir à t’attendre
Je voudrais te le dire
Pour que ton cœur l’entende

Comment te dire je t’aime
Pour surprendre ton cœur
Comment te dire je t’aime
Pour surprendre ton cœur 

 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

La route sera longue

J’ai récemment mis la main sur un petit livre intitulé Manuel de résistance féministe, écrit par Marie-Ève Surprenant. Très beau petit bouquin pour démystifier la soi-disant égalité-déjà-atteinte entre les hommes et les femmes. Soumettre la réalité à l’épreuve des faits demeure encore la meilleure façon de faire évoluer une situation indésirable. Oui, les inégalités hommes-femmes persistent!

Le texte que je vous présente aujourd’hui se rapporte justement à la situation des femmes dans le monde. Sa première version a été écrite en contexte d’apprentissage, dans le cadre d’un atelier d’écriture de chanson, à Petite-Vallée. Le défi consistait à choisir une photographie parmi plusieurs, à la regarder attentivement et à l’utiliser comme source d’inspiration. Je suis tombé sur une très belle photo en noir et blanc qui illustrait ceci : deux petites filles dans une activité festive qui semblait se dérouler en Afrique. L’une avait la peau noire, l’autre, la peau blanche, chacune tenant à sa bouche une paille plongée dans un seul et même verre. La phrase qui m’est venue spontanément à l’esprit est la suivante : au Nord comme au Sud, ces jeunes filles partagent une même réalité : femmes en devenir, elles devront se battre pour obtenir un traitement égalitaire. Des combats différents par leur gravité, certes, mais des combats bien réels pour occuper une place égale à celles des hommes dans la société. J’ai donc imaginé un texte pouvant être interprété en duo, par une femme à la peau noire et une autre à la peau blanche. Le voici, pour un 8 mars tous les jours!

La route sera longue

 

La route sera longue

Toi au Sud, moi au Nord

Suis-je une femme? Pas encore…

Belle dans les magazines

Les décors des vitrines

Mais si peu reconnue

Quand l’image ne compte plus

Et si je parle « liberté »

Mes ailes me sont coupées

 

La route sera longue

La route sera longue encore

La route sera longue

Elle sera longue encore

 

Toi au Nord, moi au Sud

Je n’ai pas l’habitude

Prendre la parole

C’est dire que je suis folle

Ici, l’homme, le roi

Impose ses propres lois

Quand on saigne sous les lames

Comment se sentir femme?

 

La route sera longue

La route sera longue encore

La route sera longue

Elle sera longue encore

 

Toi et moi sur cette terre

Il nous reste tant à faire

Avant de n’y être plus

Avant de n’y être plus

Toi et moi sur cette terre

Il nous reste tant à faire

Et la route sera longue

Elle sera longue encore

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Je m'en fous

Au début de son livre Les Barbares, essai sur la mutation, Alessandro Baricco* dit ceci à propos des « nouveaux barbares » qui sévissent actuellement :

« D’habitude, on se bat pour contrôler des points stratégiques de la carte. Aujourd’hui, les agresseurs font quelque chose de plus radical, qui va plus en profondeur : ils sont en train de redessiner la carte […]. Ils remplacent un paysage par un autre et y créent leur habitat. »

Dans ce livre superbement bien écrit, Baricco constate que nous assistons à des changements profonds dans notre manière d’aborder la vie et il s’interroge sur le sens de cette mutation qui lui apparaît, à certains égards, comme un mouvement de « décivilisation », comme une sorte de recul de l’humanité, cette humanité que nous avions pourtant crue en marche vers une humanisation toujours plus grande.

Pour bien saisir le sens de mon propos, établissons d’abord une distinction avec le philosophe André Comte-Sponville** :

« […] l’hominisation (qui est un fait biologique) m’importe moins que l’humanisation (qui est un fait culturel). Par la première, nous sommes ce que la nature a fait de nous. Par la seconde, ce que l’humanité en fait. L’hominisation nous distingue des autres animaux. L’humanisation, de la barbarie, ou de l’inhumanité – y compris de celles que tout homme porte en soi, et qui le portent. »

La barbarie, l’inhumanité, ce serait donc cette part de nous qui manque à l’appel de la civilisation et qui, lorsqu’elle prédomine, nous conduit à nous retourner contre nous-mêmes, à nous autodétruire. C’est pourquoi il importe que l’être humain ne tienne pas son humanisation pour acquise, et qu’il continue d’avancer vers elle comme vers un horizon infini. Mais comment s’humaniser davantage? Le premier pas, à ce moment-ci, est certainement de résister à la barbarie, dont celle-ci, qui se manifeste à grande échelle dans nos sociétés et qui risque de nous faire perdre toute dignité : la marchandisation de l’activité humaine.

Par résistance il faut entendre non pas « cette révolte romantique, dira le philosophe Normand Baillargeon***, […] qui existe essentiellement dans un certain rapport à soi-même », mais plutôt celle que l’on peut « mener collectivement et qui se caractérise par un souci de l’autre ». Il écrit :

« La résistance telle que je l’espère, tel que je nous la souhaite, est une résistance pour et avec autrui, lucide et généreuse, alimentée d’idéaux de justice et de vérité, qui sont sans doute d’abord ressentis dans la brûlure de la révolte contre l’injustice et le mensonge, mais qui, très vite, se formulent de plus en plus clairement et se communiquent, se font moins abstraits et s’incarnent dans des combats à travers la rencontre avec les autres, la solidarité, l’éducation, l’action. »

Dans son livre intitulé Grandeur et Misère de la Modernité, le philosophe Charles Taylor**** tient lui aussi des propos inspirants pour qui veut se mettre en action :

« La nature d’une société libre repose sur le fait qu’elle sera toujours le théâtre d’un conflit entre les formes élevées et les formes basses de la liberté. On ne peut abolir ni l’une ni l’autre, mais on peut en déplacer la ligne de partage, non pas définitivement, mais en tout cas, pour quelques individus, pour quelque temps, dans un sens ou dans l’autre. Par l’action sociale, l’évolution politique et aussi en touchant les cœurs et les esprits, les meilleures formes de cette société peuvent momentanément gagner du terrain. »

L’individualisme, la technologie, l’économie de marché, que je critique souvent dans mes textes de chansons, ne sont pas en tant que tel des choses condamnables. Souvent, tout est question de ligne de partage, comme le dit Taylor. Le problème survient en effet quand l’individualisme ne répond plus à un besoin de différenciation, d’identité, mais devient plutôt égocentrisme ou narcissisme; quand la technologie n’est plus un moyen, un facilitateur, mais devient une fin en soi que nous préférons à la connaissance, à la réflexion, à ce qui émeut l’âme; quand l’économie n’est plus une activité d’échange de biens et de services essentiels, mais devient plutôt synonyme de « libre marché », entraînant une commercialisation de toutes les sphères de nos vies, matériels comme expérientiels, si bien que nous pouvons acheter et vendre n’importe quoi, voire n’importe qui, ce qui pose parfois de sérieux problèmes sur le plan éthique (pensons au commerce d’organes, aux services de mères porteuses, aux cobayes pour tester des médicaments, aux itinérants pour attendre à notre place dans une file d’attente, aux personnes pauvres pour porter un tatouage publicitaire et j’en passe). À mesure que s’allonge le bras du libre marché se rétrécit notre bien commun, et se rétrécit aussi notre pouvoir de déterminer des finalités qui valent pour nous, les êtres humains. Ce n’est pas rien…

Il faut se le dire : sans nous, rien ne changera. La logique est simple : les grandes entreprises, qui tiennent la valeur marchande pour mesure de toute chose, échappent aux règles d’une économie saine comme à celles de la démocratie. Tout en pouvoir qu’elles sont, elles exercent une influence déterminante sur les gouvernements que nous élisons et parviennent à imposer leurs priorités. Seule une communauté politique alerte et engagée peut espérer rééquilibrer la situation ou, à tout le moins, faire cesser le mépris des puissants à l’égard de la majorité. Chaque fois que nous renonçons collectivement à nous occuper de notre monde, quelques-uns s’en occupent à notre place, et c’est rarement dans notre intérêt! Alors, me dis-je en écrivant ces textes, pourquoi ne pas tenter de faire gagner du terrain aux meilleures formes de la liberté, celles qui contribuent à notre épanouissement collectif et individuel plutôt qu’à notre servitude? Faisons-le en prenant en compte la nature, à laquelle nous sommes intimement liés, et les autres, pour ce qu’ils ont en eux d’humanité.

Le texte qui suit (Je m’en fous) aborde le thème de l’indifférence. Elle est sans doute notre pire ennemie. Le texte dépeint de manière ironique ce qu’est à mes yeux un appel vers le bas (et ça existe!), un appel contre lequel il faudrait se dresser, me semble-t-il. La cupidité des puissants, mais aussi l’indifférence de la majorité (une majorité fragmentée, morcelée, qui ne fait plus corps), voilà les ingrédients pour que s’accentue notre déshumanisation.

Je m’en fous

Je suis un occidental 
De l’atlantique nord
La tête dans les étoiles
Le cul trempé dans l’or

Je suis un ayant droit
Je vis pour la victoire
Je vous impose mes lois
Je m’en fais un devoir

On dit que sur la terre
L’enfer c’est les autres
J’m’occupe de mes affaires
Occupez-vous des vôtres!

Et toi l’original
Qui clame son désaccord
Je te dis : « c’est normal
C’est qu’t’es pas du bon bord »

Relaxe don’ mon ami
Relaxe don’ que j’te dis
Écoute bien ce mantra
Il est juste pour toi :
Je m’en fous! 

Allez! Écoute bien ceci 
et répète après moi : 
Je m’en fous!

Je n’ai pour seul langage
Que celui de l’argent
J’en fais si bon usage
Que je te saigne à blanc
- Je m’en fous!

Une terre au pillage
La misère au suivant
Ainsi va l’héritage
Laissé à tes enfants
- Je m’en fous!

Politique de l’image
Vérité en suspend…
Miroitent les mirages
Pour tromper ton jugement
- Je m’en fous!

Je te ris au visage
D’un air condescendant 
Je t’amène à l’abattage 
Tu restes indifférent 
- Je m’en fous!

Allez, répète encore :

Tout est parfait comme ça!
- Tout est parfait comme ça
On ne changera pas le monde!
- On ne changera pas le monde
Voilà, c’est réglé! 

 

* Baricco, Alessandro, Les barbares, essai sur la mutation, Gallimard, 2014 (pour la traduction française), p. 15.

** Comte-Sponville, André, Le goût de vivre et cent autres propos, Albin Michel, 2010, p. 87.

*** Baillargeon, Normand, Esquisse d’une phénoménologie de la résistance dans La dure école, Leméac, 2016, p 37 à 42.

****Taylor, Charles, Grandeur et Misère de la Modernité, Bellarmin, 1992, p 98-99.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Je le dis, donc je suis

Les médias sociaux permettent plus que jamais à tout un chacun d’exprimer son opinion, ce qui, en principe, devrait favoriser la conversation démocratique. Mais qu’en est-il vraiment? En fait, la question délicate qu’il faut se poser est celle-ci : est-ce que toutes les opinions ont la même valeur, le même poids dans la discussion démocratique? Dans la tradition philosophique — à laquelle notre époque semble vouloir renoncer — on estimait que l’opinion avait peu de valeur si elle consistait en un jugement personnel non fondé sur un raisonnement juste, c’est-à-dire un raisonnement que l’on peut appuyer sur des faits ou sur une argumentation valable. La conversation démocratique sera en effet beaucoup plus riche si les interlocuteurs fondent leur discours sur des prémisses qui peuvent être tenues pour vraies et s’ils respectent un tant soit peu les principes d’une démonstration logique. Plus encore le sera-t-elle si chacun s’efforce de rendre le tout lisible et intelligible. Or, de nos jours, sur les réseaux sociaux notamment, on a plutôt l’impression d’assister à une explosion d’opinions qui ont souvent peu à voir avec ce qu’exige une réelle délibération.

 

Dans son livre Les Barbares, Alessandro Baricco* dit ceci à propos de notre époque : « […] ainsi s’est imposée l’idée que l’intensité du monde ne vient pas du sous-sol des choses, mais de la lumière d’une séquence dessinée à la hâte sur la surface de l’existant ». Il m’apparaît en effet, dans l’esprit de cet énoncé, que « dire pour dire », « participer à l’évènement », « se mettre en scène », « être spectaculaire » devient plus important que l’amour de la vérité et le désir de faire réellement avancer les débats. Il faut l’admettre, dans cette tyrannie de l’instantanéité et du super-égo, les mots « effort », « réflexion », « fait », « vérité » renvoient de plus en plus à des réalités obsolètes. L’image avant tout! L’émotion d’abord!

Voici un texte qui traite de ce sujet avec un brin d’ironie**. Le texte aborde aussi ce rapport particulier que nous avons à nos écrans (« le monde est virtuel », nous dit la chanson de Serge Fiori). Vous remarquez sans doute dans le titre (Je le dis donc je suis) ce petit clin d’œil au philosophe français René Descartes (je pense donc je suis). 
 

Je le dis donc je suis

 

Je suis un adepte
De technologie 
De nouveaux concepts
Et de raccourcis
Je google le monde
Je « post » ma vie
Mon écran me comble
Je me donne à lui 

Ah! que j’en ai de la chance
Ah! que je t’aime bel écran
Enfin, enfin une existence
Je n’en aurais pas autrement

Je suis intrépide
J’ai les doigts agiles
C’est moi le plus rapide
Sur l’écran tactile
Le temps, pour tout dire :
L’ennemi à abattre!
Pas trop réfléchir 
Réponse immédiate!

Fa’que, fa’que

Je dis n’importe quoi
Avec pour langage 
Des sons qui renvoient
Au stade babillage…
Ce qui compte à la fin
Ce n’est pas ce que je dis
Le dire me fait du bien
Je le dis donc je suis!

Ah! que j’en ai de la chance
Ah! que je t’aime bel écran
Enfin, enfin une existence
Je n’en aurais pas autrement 

 

*Baricco, Alessandro, Les barbares, essai sur la mutation, Gallimard, 2014 (pour la traduction française), p. 165.
** Pour un traitement plus rigoureux de ce thème, je vous invite à lire la chronique de Normand Baillargeon intitulé « Malaise dans la conversation démocratique », dans le magasine Voir (octobre 2016). L’auteur y traite notamment de ce que l’on appelle « l’ère postfactuelle ». Nos voisins du sud viennent de nous démontrer que nous y sommes vraiment!

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Quand le train s’en va nulle part

C’est la rentrée scolaire, bon moment pour aborder le thème de l’éducation.

 

Le paradoxe est bien connu, « la pauvreté est un obstacle à l’éducation et l’éducation est un outil pour sortir de la pauvreté ».* À l’évidence, pour favoriser l’égalité des chances, il faut investir dans l’éducation, et plus encore dans celle que l’on dispense aux jeunes et aux adultes en situation de pauvreté. Combien de fois, dans ma pratique d’intervenant social, j’ai vu des jeunes très talentueux ne pas être en mesure de poursuivre leurs études en raison de leur condition sociale. Je ne parle pas seulement de difficultés financières, bien que de telles difficultés influencent aussi, et parfois largement, la décision de poursuivre ou non des études. La pauvreté, on le sait, n’est pas seulement une question économique (avoir : revenu, accès aux biens essentiels) : elle a aussi une dimension sociale (pouvoir : capacité de faire valoir ses droits sociaux, participation sociale) et une dimension culturelle (savoir : connaissances, compétences, accès à de nouveaux schèmes de références). Pour un jeune issu d’un milieu de pauvreté, réussir exige souvent un effort considérable, et pour ses parents, l’encourager, l’aider à surmonter ses difficultés, représente une tâche astreignante et difficile à accomplir. Et cela non pas en raison de leurs caractéristiques personnelles, mais en raison de leurs conditions sociales. « Courir avec des souliers de plomb » et « franchir le premier le fil d’arrivée » sont des expressions qui ne vont pas dans la même phrase!

 

La réforme de l’éducation, qui est en cours depuis maintenant 10 ans, nous avait été présentée comme un moyen privilégié pour réduire les inégalités sociales, et cela grâce aux méthodes pédagogiques adoptées dans ce qu’il était convenu d’appeler « le renouveau pédagogique ». Dans un article intitulé Des leçons à tirer de la réforme**, le philosophe Normand Baillargeon émet de sérieux doutes à ce sujet. Il souligne notamment que plusieurs études, ignorées par les artisans de la réforme, démontrent le contraire, à savoir que ces nouvelles méthodes (approche centrée sur l’élève, apprentissage par projets, etc.) « favorisent en outre les enfants qui ont déjà des acquis, à la maison, hors de l’école [et qui possèdent] les prérequis qui permettent d’y fonctionner efficacement […] ». Qui s’intéresse à l’éducation doit lire les 12 leçons dégagées par ce philosophe qui a enseigné pendant plus de 25 ans en sciences de l’éducation, à l’UQAM.

 

Il faut maintenant espérer que ces leçons inspireront ceux et celles qui voudraient s’aventurer dans une nouvelle réforme de l’éducation (leçons qui seraient également utiles dans le secteur de la santé : plusieurs experts affirment que l’actuelle réforme de la santé va elle aussi dans le sens contraire de ce que propose la littérature scientifique…). Quand on entend dire « qu’il faut que notre système d’éducation au complet se mette au service de l’économie » (déclaration du porte-parole de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, M. Éric Tétrault)***, il faut s’inquiéter, me semble-t-il. Au temps de l’Homo Economicus et des « vraies affaires », il ne serait pas surprenant qu’une telle déclaration fasse son chemin jusqu’aux décideurs.

 

Quelle éducation voulons-nous réellement pour nos jeunes? Il faut rappeler « qu’environ 1,2 million de Québécois ont une maîtrise si faible de la lecture, ce qu’on appelle maintenant la littératie, qu’ils ne peuvent pas fonctionner normalement. Un autre 2,2 millions n’a pas le niveau de littératie suffisant pour pleinement se développer » ****.  Que vaut la démocratie sans une éducation qui permette de développer une compréhension des enjeux de plus en plus complexes auxquels nous sommes confrontés? Que vaut l’éducation sans un effort de transmission d’un certain héritage du passé? Car le monde, la vie humaine ne sont pas des « vérités toutes faites », mais sont plutôt des données à décrypter, à interpréter, à réinventer, ce que nous ne pouvons faire  sans ces outils qu’on appelle « culture générale », « esprit critique » et quelques autres encore que seule une éducation qui « élève » (d’où ce terme pour désigner l’étudiant) peut fournir. Pouvons-nous nous permettre, en démocratie, de réduire l’éducation à la qualification, comme si nous n’étions qu’un rouage de la machine économique?

 

Cela dit, voici maintenant un texte qui témoigne du vécu d’un jeune qui connaît la pauvreté et pour qui « aller à l’école » représente un défi. Ce jeune pose à sa manière une question d’une grande importance pour l’être humain : que puis-je espérer?

Quand le train s’en va nulle part

 

Mon prof me dit qu’il se désole

De m’voir gaspiller mon talent

Y m’dit « tu s’rais bon à l’école

Si tu te forçais de temps en temps »

Je sais qu’il veut m’encourager

Y pense que j’peux devenir quelqu’un

Y’a l’air d’y croire ben plus que moé

J’sais pas si j’vais m’rendre au mois de juin

 

Mais pourquoi donc j’devrais m’en faire

On n’est jamais vraiment en retard

Quand le train s’en va nulle part

Quand le train s’en va nulle part

 

J’arrive à l’école le matin

J’en ai déjà jusqu’au bouchon

J’me tiens la tête entre les mains

Est aussi lourde que du béton

Chez nous le soir c’est pas reposant

J’entends chialer, j’entends brailler

On manque de bouffe, on manque d’argent

Pis y’a plein de comptes à payer

 

Quand t’es jamais dans le bon rang

Quand tu te sens toujours plus poche

C’est pareil comme jouer sur le banc

C’est pas ben long que tu décroches

Même si ton prof se désole

Même s’il te dit : « t’as du talent »

C’est pas vraiment ça qui t’console

Quand la misère te rentre dedans

 

Mais pourquoi donc j’devrais m’en faire

On n’est jamais vraiment en retard

Quand le train s’en va nulle part

Quand le train s’en va nulle part

 

* Cette formule est tirée d’un document produit par le Collectif pour un Québec sans pauvreté. Consultez ce site pour une meilleure compréhension des enjeux soulevés ici.

**  Baillargeon, Normand Des leçons à tirer de la Réforme, dans La dure École, Leméac, 2016, p 156 à 173.

*** Després, Pierre, pour le groupe Philosophie, éducation et société, De quelle formation les jeunes ont-ils besoin?, Le Devoir, dans la section Le devoir de philo, 14 novembre 2015.

****Dubuc, Alain, Littératie, la catastrophe québécoise, La Presse +, Édition du 11 novembre 2013, section DÉBATS, écran 4.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Dolorès

Pour enseigner disait Platon, il faut de l’Éros, c’est-à-dire de l’amour, de la passion. Une passion pour son message, pour sa mission, pour ses élèves […]

– Edgar Morin, Enseigner à vivre - Manifeste pour changer l’éducation

 

Un mauvais prof de maths, c’est un prof qui aime les maths.

Un bon prof de maths, c’est un prof qui aime les élèves.

– Philippe Meyer

 

Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison.

– Victor Hugo 

 

Dolorès était ma professeure de français à l’école secondaire Champagnat, à La Tuque. Je veux lui rendre hommage aujourd’hui et, du même coup, rappeler à tous les professeures et professeurs à quel point leur rôle peut être déterminant dans la vie d’un élève. Leur rôle, mais peut-être davantage leur être, c’est-à-dire ce fond de vérité qui émerge d’eux-mêmes, en deçà de leur rôle.

Profs, quelle que soit la matière que vous enseignez, ne croyez pas que seuls les jeunes « dont la tête dépasse » (les plus doués) savent profiter de vos enseignements. Ne pensez pas que le sens de votre travail ne tient qu’à ceux et celles qui se démarquent et dont les talents semblent prometteurs. Dites-vous plutôt que votre passion peut devenir celle d’une petite fille discrète ou d’un petit garçon tout effacé, et que, grâce à cette passion que vous lui aurez transmise, cette petite fille, ce petit garçon, pourra peut-être à son tour, et de lui-même, « relever la saveur de sa vie ». Ce n’est pas rien!

Einstein disait : « n’essayez pas d’être une personne qui a du succès, essayez plutôt d’être une personne qui a de la valeur ». Or, le sentiment d’avoir une valeur nous est d’abord donné : il naît de la valeur qui nous est accordée au départ par les adultes qui nous entourent, il croît sous leur regard bienveillant et il grandit plus encore si ces adultes représentent des modèles dignes, des modèles qui nous permettent de projeter nos aspirations les plus profondes. Et c’est précisément sur ce plan que vous, les profs, vous jouez un rôle essentiel dans la vie des jeunes. Par ce que vous faites, par ce que vous êtes, vous plongez les jeunes que vous côtoyez dans des univers multiples, vous leur ouvrez des perspectives, vous leur permettez de découvrir ce qu’ils aiment, de reconnaître leurs talents, de sonder leur confiance en eux-mêmes et aux autres; en fait, vous les mettez sur la piste d’une quête qui en vaut la peine, celle du « devenir soi-même ». « Devenir soi-même » ne correspond pas nécessairement à « avoir du succès » tel qu’on l’entend de nos jours, particulièrement depuis l’avènement des réseaux sociaux (faire la une, être une vedette, sans quoi l’on n’existe plus!). « Devenir soi-même » permet cependant de développer un sentiment intrinsèque d’avoir une valeur. Il en résulte quelque chose de précieux, quelque chose comme un sentiment de plénitude, une joie de vivre.   

Profs, éveilleurs de passions, c’est souvent à votre insu que vous êtes des « docteurs de l’âme »!

Quant à moi, si je suis là en train d’écrire mes réflexions sur différents sujets, si je me plais à vous livrer mes poèmes et mes paroles de chansons, je tiens à le dire : c’est grâce à Dolorès! 

Bonne année scolaire!

Dolorès

 

L’histoire s’est écrite à l’école

J’avais treize ans et des poussières

L’estime de moi clouée au sol

Petites joies, grandes misères

Elle, en avant, déambulait

Donnant aux mots une cadence

On aurait dit que le français

Pouvait s’apprendre au pas de danse

 

On aurait dit que le français

Pouvait s’apprendre au pas de danse

 

Puis un matin de ciel brumeux

Elle fit appel à trente poètes

Rare moment silencieux

Plongés dans nos humeurs inquiètes

L’arbre allait-il produire ses fruits?

L’âme allait-elle servir son cru?

Qui sait à quoi l’être obéi

Qui sait s’il se mettra à nu

 

Qui sait à quoi l’être obéi

Qui sait s’il se mettra à nu

 

Le lendemain sur son bureau

Des manuscrits marqués de rouge

Qui peut de la pointe d’un stylo

Rayer du cœur ce qu’il éprouve?

Peut-elle détruire de ses barbots

La passion vive que l’oiseau couve?

Je me sens comme un petit agneau

Pris entre les crocs d’une louve

 

Je me sens comme un petit agneau

Pris entre les crocs d’une louve

 

Voilà maintenant que Dolorès

Tantôt d’emphase, tantôt de feutre

Livre mon âme à toute la classe

Comme à la soif de sa meute

Après un insondable silence…

Le clapotis d’une pluie d’éloges!

Il y a de ces instants de grâce

Où le temps se moque de l’horloge

 

Il y a de ces instants de grâce

Où le temps se moque de l’horloge

 

Je n’y vis pas une heure de gloire

Mais plutôt une seconde naissance

Un éclatant rayon d’espoir

La source d’une joie intense

Si aujourd’hui les vers, les rimes

Attisent en moi l’ardente braise

C’est que j’ai connu le sublime

Et je te le dois, chère Dolorès

 

Si aujourd’hui les vers, les rimes

Attisent en moi l’ardente braise

C’est que j’ai connu le sublime

Et je te le dois, chère Dolorès

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Sur le pas de la porte

Vous vous souvenez de ce « maudit bonheur » décrit par Michel Rivard dans sa chanson du même titre? Ce bonheur, on l’a voulu, on l’a cherché, il n’y était pas. Tout à coup, le voilà, au moment où l’on croyait y avoir renoncé. C’est pareil pour l’amour! Où était-il? Parti se faire voir ailleurs, peut-être? Ou encore se gambadait-il sous nos yeux devenus inaptes à le percevoir? Si l’on aime croire d’emblée que « l’amour est aveugle », pourquoi ne serions-nous pas, nous aussi, « aveugles à l’amour » à certains moments de notre vie? Allez donc savoir! Toujours est-il qu’un beau jour, il revient, puis il se braque sur le pas de la porte, comme s’il voulait s’assurer que nous ne puissions le contourner. Il attend un signe et, prudent, il avance avec retenue. Plus il a le potentiel de devenir grand, plus il avance lentement. Vigneault disait ceci : « les grands bonheurs ont le pas très lent »*. Encore une fois, c’est pareil pour l’amour!

Vous reconnaîtrez ici l’amour naissant, celui qui surgit sous la puissance créatrice d’Éros (voir L’amour et son petit lexique publié dans cette chronique dans le numéro de février 2020).

 

* Gilles Vigneault dans Madame Adrienne

Sur le pas de la porte

Sur le pas de la porte
J’ai su que tu m’aimais
Tes yeux me disaient oui
Tes mots, eux, sommeillaient
Sur tes lèvres attendries
Comme s’endort la vie
Sur un grand lit d’automne
Faut-il qu’on s’en étonne?

Il se tenait là
Notre amour
Sur le pas de la porte
Juste là
Sur le pas de la porte

Comment pareil amour
Si bien se faire entendre
Comme si d’une voix forte
Il appelait au secours
Silence à s’y méprendre…


Ton regard a suffi 
Pour que nos cœurs s’exhortent
À s’ouvrir à la vie

Sur le pas de la porte
J’ai su que je t’aimais
L’appel de tes yeux
Longtemps je l’attendais
Comme ces messages heureux
Que les enfants apportent
Ou que les anges entonnent 
Quand nous revient l’automne

Il se tenait là
Notre amour
Sur le pas de la porte
Juste là
Sur le pas de la porte

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Mon vieux Fred

L’évènement « La Nuit des sans-abri » nous donne l’occasion de réfléchir à la condition des personnes qui vivent dans la rue. J’ai souvent rencontré des gens pour qui ce phénomène paraît incompréhensible. Ils ont peine à croire que la vie d’une personne peut basculer au point de tout perdre, même son toit. Plus encore seront-ils sceptiques, voire incompréhensifs, devant ceux et celles qui adoptent ce mode de vie de manière permanente. « On leur fournit des logements, des chambres, des refuges et ils refusent d’y vivre », entendons-nous souvent de leur bouche. Sans partager totalement cette incompréhension, je voyais mal, moi aussi, de quoi il en retournait : comment expliquer qu’une personne devienne à ce point isolée et sans ressources?

C’est à M. Michel Simard, directeur du Centre Le Havre de Trois-Rivières, que je dois ma compréhension maintenant plus sensible de ce phénomène, et je l’en remercie. Elle tient à cette phrase toute simple : « l’itinérance n’est pas un problème de lieu, mais un problème de lien ». Et ces personnes sans-abri, M. Simard les appelait respectueusement « des personnes en situation de rupture sociale ». Grâce à lui, j’ai appris à reconnaître les nombreux facteurs qui contribuent à l’effritement des liens affectifs et sociaux de ces personnes. J’ai aussi compris que, parmi ces facteurs, il y en a au moins un sur lequel nous avons tous un pouvoir d’agir : nos préjugés. Il est vrai, en effet, que notre incompréhension peut parfois nous conduire à ignorer ces personnes, à les repousser, à leur attribuer à elles seules la responsabilité de leur situation, bref, à les marginaliser davantage. Mieux comprendre, mieux réagir, voilà peut-être la part de responsabilité que chacun de nous peut prendre pour contribuer à contrer le phénomène.* C’est un début, mais cela est certainement insuffisant : sans l’action des organismes d’aide en la matière (et sans le financement requis pour qu’ils puissent agir), on ne peut penser enrayer un phénomène qui, malheureusement, prend de l’ampleur d’année en année. 

Aussi faut-il admettre que l’itinérance, comme d’autres phénomènes sociaux conduisant à la marginalisation, s’accentue au rythme de l’effritement du tissu social, qui lui s’accentue à mesure que l’homo économicus s’empare du bien commun et laisse un nombre croissant de personnes sombrer dans la pauvreté. Peut-être faudrait-il aussi, en tant que société, cesser de produire des problèmes sociaux… 

Cela dit, je profite de l’occasion aujourd’hui pour dire chapeau! aux intervenants et intervenantes qui travaillent en amont, pour prévenir la rupture sociale, de même qu’à ceux et celles qui interviennent auprès de ces personnes lorsqu’elles vivent des situations de crise ou encore qui les accompagnent dans leur processus de réinsertion sociale. Chapeau! à tous ceux et celles qui, dans la rue, traitent ces personnes avec tout le respect et la dignité que l’on doit à un être humain. 

Mon vieux Fred, c’est l’histoire de deux amis d’enfance qui ont emprunté des chemins différents et qui, après plusieurs années, se retrouvent l’un devant l’autre, dans le chez-soi de l’un d’eux : la rue.
 

Mon vieux Fred

Tu t’rappelles mon vieux Fred

On jouait dans la rue

Les maisons étaient laides

Les vitrines étaient nues

Un matin j’me réveille

Y’avait pu rien de pareil…

Y’ont retapé les façades

Y’ont meublé les trottoirs

Des gros chars qui paradent

Jusqu’à bin tard le soir

 

Tu t’souviens mon vieux Fred

On traînait dans la rue

On gobait nos remèdes

Contre la vérité crue

On l’savait bin au fond

Que ça tournait pas rond…

Ça nous crevait les yeux

Ça nous brisait le cœur

Fa’qu’on s’mettait à deux

Pour inventer l’bonheur

 

Tu l’vois bin mon vieux Fred…

Je vis icitte… dans la rue

Pis tout ce que je possède

Bin… j’suis assis dessus

Toé tu le savais bin

Que rêver mène à rien…

Tu l’as pris à bras l’corps

C’te vie-là qui t’pesait

Pis tu l’as reviré de bord

Comme si c’tait un jouet

 

Tu l’sais bin mon vieux Fred

Moé aussi j’ai essayé

La pente était trop raide

J’me suis découragé

Dans ma tête des pourquoi

Dans ma tête il fait froid…

À c’t’heure j’demande rien

Juste un coin de béton

Peut-être aussi quelqu’un

Qui m’appelle par mon nom…

L'itinérance au Québec.jpg

*Pour mieux connaître les facteurs qui y contribuent au phénomène de l’itinérance, je vous renvoie au document L’itinérance au Québec – Cadre de référence, Gouvernement du Québec, 2008. Facile à trouver sur votre moteur de recherche préféré.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

J’suis resté au terminus

Les personnes qui vivent dans la pauvreté sortiraient de leur misère si elles avaient plus de volonté, voilà une idée bien répandue dans la population. Une idée qui tend d’ailleurs à se cristalliser à mesure que se renforce cette croyance en l’individu détaché de sa condition sociale, autosuffisant et désireux de forger son propre bonheur en jouissant des bénéfices associés à la productivité et à la consommation. La volonté serait alors cette aptitude que certains possèdent naturellement et que d’autres, fautifs, ne possèdent pas, d’où leur incapacité à occuper une place enviable dans la société. Certes, il y a bien quelques individus qui font preuve d’une volonté exceptionnelle et qui échappent ainsi à leur condition sociale. Cependant, de façon générale, l’exercice de ce que l’on appelle ici « la volonté » s’appuie plutôt sur des conditions de vie qui en favorisent ou non l’apprentissage et l’expression (stimulation et soutien familial, éducation, accès à l’emploi et aux ressources sociales, etc.). 

L’idée d’une volonté naturelle profite malheureusement à une certaine classe dirigeante qui en déduit naïvement que pour s’attaquer à la pauvreté, il faut s’attaquer aux pauvres. Dans cette logique, une politique restrictive devient louable; une politique qui, par exemple, vise la diminution du nombre de prestataires de l’aide sociale ou de l’assurance chômage par une limitation des conditions d’accès à ces mesures de protection sociale. Comme si « faire disparaître les pauvres de l’écran radar » (c’est-à-dire la liste des prestataires) allait améliorer la réalité de ces personnes. Loin de « stimuler leur volonté », cette orientation, n’ajoutant rien aux conditions qui favorisent une participation sociale, a plutôt pour effet de contrecarrer leurs efforts en plus de les stigmatiser davantage. 

Peut-être avez-vous vu l’excellent documentaire Naufragés des villes* (réalisé sous forme de téléréalité) dans lequel deux personnes éduquées, de classe moyenne, connaissant le confort, sont invitées à vivre l’expérience de la pauvreté pendant quelques semaines? Après peu de temps, ces deux personnes avaient déjà adopté des comportements qu’elles auraient probablement condamnés avant d’en comprendre le sens de l’intérieur. Ces comportements étaient tout à fait adaptés aux situations qu’elles vivaient et ne représentaient rien d’autre que des stratégies de survie. Des stratégies qui, d’ailleurs, s’avéraient la plupart du temps inefficaces pour sortir du marasme. Si l’impasse persistait malgré leurs efforts, on le voyait bien, c’était en raison des limites imposées par leur environnement, un environnement contraignant, hostile même, qui ne favorisait en rien leur inclusion sociale. Dès lors, une question se pose : est-il éthiquement « correct » de faire porter la responsabilité de la pauvreté aux personnes qui en sont victimes? Et pouvons-nous vraiment condamner leurs comportements de survie? 

Cette question éthique devient plus importante encore quand on sait que les inégalités sociales et économiques se traduisent en inégalités de santé. Quelque dix ans d’écart entre l’espérance de vie des plus pauvres et celle des plus riches, et autour de quatorze ans d’écart pour l’espérance de vie en bonne santé. Habitudes de vie et comportements à risque sont évidemment en cause, mais plus encore le sont le niveau et le type de stress que vivent les personnes en situation de pauvreté. Ah! dirons-nous, mais les personnes plus favorisées vivent aussi beaucoup de stress : performance au travail, vie familiale et autres exigences auxquelles elles doivent se soumettre dans leur vie bien occupée… C’est vrai. Mais il faut savoir, d’une part, qu’un stress choisi et assumé n’a pas le même effet sur le corps humain qu’un stress imposé et, d’autre part, que le niveau de stress vécu par une personne diminue de manière importante quand celle-ci peut envisager une alternative (une solution de remplacement, un divertissement, un ressourcement). Ce qui tue — et cela est bien documenté en biologie — c’est le stress lié à l’absence quasi totale de contrôle sur sa propre destinée, le stress lié à un sentiment d’impuissance permanent. Imaginez un instant que vous êtes une souris enfermée dans une pièce et qu’un chat s’y trouve aussi… Essayez maintenant de penser à votre avenir...

Plus qu’on ne le croit, bon nombre de personnes en situation de pauvreté savent que leur seule volonté ne leur permettra pas d’améliorer leur condition. Elles savent que ce qui cloche ne leur appartient pas totalement. De fait, la mise en place de mesures qui favoriseront une réelle égalité des chances n’est pas d’abord de leur responsabilité…
 

J’suis resté au terminus

Quand arrive le premier du mois
J’attends le facteur à la fenêtre
J’reçois mon chèque puis avec ça
Vient l’étiquette «t’es su l’bien-être»
J’me r’trouve dans la file à la Caisse
Sous les yeux froids des bien nantis
J’mesure l’ampleur de mon malaise
À la hauteur de leur mépris

J’les entends dire « eux su’l’ B.S.
Ils se font vivre par le système
Ils ont hérité de la paresse
Comme du sang qui coule dans leurs veines
Ils pourraient ben faire comme tout l’monde
Travailler pour gagner leur vie
Au lieu d’être là à se morfonde
En se berçant sur leur galerie »

J’aurais ben voulu embarquer 
Avec toé dans ton autobus 
Mais le nombre de places est limité
Moé j’suis resté au terminus

Tu penses que j’ai la vie facile 
Ben viens don’ la vivre à ma place  
Viens du côté des inutiles
Viens jouer ta vie à pile ou face
Tu vas voir que la pauvreté
Ça te réduit au désespoir
Quand t’es pris de tous les côtés
Y’a pu grand-chose en ton pouvoir 

Moé j’ai pas une grosse instruction
Je sais pas lire dans les grands livres
Mais j’ai ma petite opinion
J’peux t’expliquer ce qui m’arrive
Tu vois, y’a deux sortes de monde
Ceux dans misère, ceux qui la crée
L’argent c’est l’affaire d’un petit nombre
Nous autres on survit endettés

J’aurais ben voulu embarquer 
Avec toé dans ton autobus 
Mais le nombre de places est limité
Moé j’suis resté au terminus

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

L’âme n’a pas de couleur

Nous voici en février, Mois de l’histoire des Noirs. Le texte que je vous présente aujourd’hui est inspiré d’un article publié dans le journal La Presse, le 27 août 2016 (Associated Press). L’article révèle qu’à Chicago, entre 2010 et 2015, les personnes atteintes par une balle tirée par un policier étaient quatre fois sur cinq des hommes afro-américains. Ces données ont été obtenues par le Chicago Tribune qui affirme qu'il lui a fallu sept mois d'argumentation et la menace d'une poursuite judiciaire pour pousser la municipalité à les lui fournir. D’ailleurs, il y a quelques semaines (janvier 2017), le ministère de la Justice des États Unis déclarait la police de Chicago coupable d’abus et de racisme de façon répétitive et systémique. Aux États-Unis, vous l’aurez constaté, Chicago n’est malheureusement pas le seul théâtre de tragédies liées à des tensions raciales. 


Pour traiter de ce sujet, je fais référence ici à ce qu’on appelle « l’ombre », un concept développé par le psychiatre suisse Carl Gustave Jung. L’ombre, pour le dire simplement, c’est cette partie de notre personnalité que nous nous refusons à nous-mêmes, souvent parce que nous avons compris qu’il valait mieux la réprimer pour ne pas perdre l’affection des personnes importantes dans notre vie (menace plus souvent imaginée que réelle, mais c’est ainsi : nous sommes constitués des représentations que nous nous sommes faites des autres et de nous-mêmes!). Cette partie de nous-mêmes, nous avons appris à la juger « inférieure » ou « négative » et, pour nous en défendre, pour éviter de la regarder en face, nous l’enfouissons au plus profond de notre être, estimant qu’elle ne mérite pas de vivre au grand jour. Par un mécanisme de clivage, nous instaurons en nous un mur séparateur qui définit ce que sera, d’un côté, le bon gars, la bonne fille, et de l’autre, le méchant, la méchante. C’est ce qui se trouve de l’autre côté du mur, l’inacceptable à nos propres yeux, qu’on appelle « l’ombre ». Et cette ombre, qui demeure inconsciente (à moins que nous nous efforcions de perforer le mur), nous avons tendance à la projeter sur les autres (ils sont comme-ci, ils sont comme ça, mais nous, jamais!). Jung avait déjà observé que les Occidentaux blancs avaient tendance à projeter sur les Noirs cette partie d’eux-mêmes qu’ils jugeaient « inférieure » (leurs rêves en témoignaient à l’époque, et les psychanalystes vous diront que cela s’avère encore présent dans les rêves des contemporains).


Supposons maintenant que l’expérience de la mort est l’instant d’une élévation de notre niveau de conscience, supposons que c’est à ce moment-là que nous pouvons jeter un regard franc sur ce que nous sommes, nous, les humains… Voici ce qu’a vu un homme à la peau noire tombé sous les balles d’un policier. 

 

L’âme n’a pas de couleur

Je me libère de ce corps
Né sous le signe de la misère 
Et je vois d’un dernier regard
Ce qui pour moi sur cette terre
Fut la cause de mon désespoir
La part qui revient à l’enfer… 
Je suis un homme à la peau noire
Je suis un homme qui a souffert 

À cet instant une seule Loi
Rien que l’amour, seulement l’amour
Ni Dieu ni homme ne se fait roi
Et la nuit marche au bras du jour 

L’âme remplie de cette grâce
Je vois en l’homme ce qu’il est
Je vois qu’il ne tient pour visage
Que la blancheur de ses traits
Il se refuse à son ombre
Qu’il tient pour sa pire ennemie…
Craignant qu’elle ne revienne en trombe
Il la pourchasse avec furie

Et je vois d’un dernier regard 
Qu’il est des hommes sans liberté
Qui n’ont pour seul étendard
Que le drapeau du condamné
Voués à n’être que l’écran
D’une ennemie qu’on y projette  
Peuvent-ils vivre autrement
Qu’en devenant cible parfaite?

Adieu! Terre de désespoir
Adieu! Cité de mes malheurs
Puissent les humains un jour se voir
Comme des frères, comme des sœurs 
Puisse leur peau blanche ou noire
Ne leur adjuge une valeur
Puisse chacun un jour savoir 
Que l’âme n’a pas de couleur

Puisse chacun un jour savoir 
Que l’âme n’a pas de couleur

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

L’évolution

Avez-vous entendu parler du rapport Demers*, ce document publié par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science à la suite du chantier sur l’offre de formation collégiale? Si vous vous intéressez à l’éducation et à la culture, il faut le lire, mais lire aussi cet autre document, un merveilleux petit bouquin né de l’inquiétude suscitée par la publication de ce rapport. Ce bouquin s’intitule : La liquidation programmée de la culture – Quel cégep pour nos enfants? **. Pour situer son propos, voici un extrait de sa préface :

« Les textes réunis dans cet ouvrage visent ainsi à penser et à défendre la culture. La culture? On en parle tellement que, finalement, on ne sait plus trop ce que c’est ni à quoi ça sert. Entre la culture privilège d’une élite et la culture comme divertissement omniprésent, quelque chose d’essentiel s’est perdu, qui a trait à la créativité et à l’agir proprement humain, et donc à sa liberté. »

Pourquoi un tel plaidoyer en faveur de la culture? Parce que les auteurs (qui sont au nombre de douze) voient dans le rapport Demers une nouvelle offensive pour éliminer progressivement la formation « libre » (comme la littérature et la philosophie), c’est-à-dire celle qui échappe aux exigences du marché. De fait, il ne s’agit plus, de nos jours, de s’adresser à des humains, et de les former dans une perspective d’émancipation, mais plutôt de les ajuster rapidement au rouage de la division du travail pour en faire des futurs salariés qui feront rouler l’économie. Voilà l’un des fondements du rapport Demers.


Autre élément fondateur de ce rapport : le soi-disant respect de l’intérêt et du libre choix de la clientèle (car ce sont maintenant des clients, et non plus des étudiants), « nouveau point de départ pour penser l’école », écrit Éric Martin, l’un des auteurs de ce livre. Or, ajoute-t-il :

« On pensait jadis que rencontrer le sens exigeait de sortir du solipsisme de son moi pour hériter d’une culture qui nous est antérieure. Un formidable renversement s’opère maintenant, qui réduit tout à un fatras de vieilleries conservatrices, et qui prétend que le choix spontané d’un étudiant de première année de cégep doit servir de fondation à l’édifice éducatif plutôt que quelque tradition littéraire ou que l’histoire de la pensée… Fine alliance du narcissisme du moi prétendument autofondé, du clientélisme, du présentéisme et de l’immédiateté, au mépris du passé et donc de tout futur véritable […]. »

À ce propos, Annie Thériault, signataire de l’un des textes de ce livre, nous rappelle ces sages paroles du philosophe de l’Antiquité Diogène de Sinope : « Jeune homme, si tu ne peux pas supporter le labeur de l’apprentissage, tu auras à supporter les épreuves de l’ignorance ». Sachant, en effet, que le néolibéralisme globalisé cherche la croissance et l’accumulation du capital sans investir dans l’emploi, que deviendront ces jeunes que l’on forme déjà « par projet » à la petite école et que l’on veut retenir ensuite dans l’horizon limité de la pensée opérationnelle-concrète? Des précaires, probablement, le paradis de l’emploi étant plus qu’incertain, mais aussi des individus sans recul face à un monde qui leur échappe; des individus, par conséquent, beaucoup plus vulnérables aux discours démagogiques de ces nouveaux superhéros qui leur laissent croire qu’ils porteront leur voix… 


Une chose est claire : malgré mon enthousiasme, je ne pourrai pas vous traduire ici toute la richesse des réflexions contenues dans ce petit bouquin. Je vous encourage à le lire, et attendez-vous à ce qu’il vous conduise beaucoup plus loin que ne l’annonce son sous-titre. De fait, au-delà du problème qu’il soulève concernant la formation au cégep, ce livre est un véritable petit coffre à arguments pour ceux et celles qui croient encore en la nécessité de garder en vie la capacité de l’être humain d’interroger le sens du monde dans lequel il vit. Nous sommes plus que de la main-d’œuvre, plus que d’heureux consommateurs : notre valeur en tant qu’être humain tient à autre chose, et nous avons le devoir de le rappeler haut et fort aux « sans mémoire » qui tiennent actuellement les commandes de notre société et qui destinent nos jeunes à « supporter les épreuves de l’ignorance ».


Les bases du texte qui suit ont été jetées il y a quatre ou cinq ans, mais, inspiré par le propos du livre dont je viens de vous parler, j’ai décidé d’y replonger et de lui apporter plusieurs améliorations afin de mieux toucher la cible. Mon but, dans ce texte, n’est évidemment pas d’adresser des reproches aux jeunes qui fréquentent nos écoles et nos collèges : je sais trop bien que la responsabilité de « penser l’école » n’est pas d’abord la leur… 

 

L'évolution

Autrefois, un humain
C’était bien compliqué : 
Des sensations, des émotions
Des sentiments puis des pensées 
Y’avait rien de trop beau!
Des impressions, des intuitions
Des conceptions, des réflexions…
En voulez-vous? En v’là!
En plus de ça, imaginez!
Ça tenait à « s’exprimer »
Alors des mots, y’en avait trop
Vous n’en avez pas idée! 
Il paraît que ça sonnait, 
Ça résonnait, ça retentissait
Jusque dans l’âme!

Mais toi, mon enfant
Toi l’unique, toi l’apprenant
Grâce à ton gouvernement
Tu devras suivre l’évolution…

Des mots : presque plus
Des phrases : non plus
Réfléchir : inutile! 
S’exprimer : c’est futile! 
Des caractères, ça fait l’affaire
On se comprend, c’est suffisant
C’est assez le niaisage
On descend d’un étage

Viens à l’école inc.
Observe les consignes
Ici, que du concret! 
Tu auras du succès 
Adapté, formaté
Employé, salarié 
Sous la main du marché
Des images plein la vue
Des mirages plein la vie
Fermeture de l’esprit
On liquide à bas prix…

Adieu propos obscurs
Vieilleries dites « culture »
Embarque dans l’aventure
On se livre au futur
On décide à mesure
On se perd en conjectures
On se dirige… oups! dans un mur!

Rien de grave, rien d’alarmant
Nos appareils sont intelligents!

 

*Guy Demers, Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science, Québec, juin 2014.


**Collectif sous la direction de Sébastien Mussi, La liquidation programmée de la culture – Quel cégep pour nos enfants?, Liber, 2016.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

T'espérer

J’ai connu, dans ma pratique d’intervenant social, des jeunes très talentueux, mais à un tel point blessés qu’ils n’ont jamais pu profiter de l’éducation qui leur était offerte. On peut comprendre. Vous vous souvenez de ce bon vieux Maslow (psychologue américain, 1908-1970) et de sa pyramide des besoins : quiconque construit sa personnalité dans un contexte de survie — sur le plan affectif — mettra toute son énergie à trouver une satisfaction à ses besoins de base (au bas de la pyramide : sécurité, appartenance, amour) et trouvera plus difficile de satisfaire ses besoins dits « supérieurs » (en haut de la pyramide : estime de soi, accomplissement). Ajouter des étages à des fondations qui ont été fragilisées représente en effet un défi de taille.

L’histoire que je raconte dans T’espérer est celle d’un jeune adulte exceptionnellement doué qui a grandi dans une famille d’adoption et qui, malgré l’affection et la qualité du soutien qu’il obtenait dans cette famille, n’arrivait pas à déployer ses ailes. Accepter que sa mère ait pu l’abandonner lui paraissait impossible (il était né d’un père inconnu, par surcroît). Pas facile à accepter, il faut en convenir. Et loin de moi l’idée de blâmer cette jeune mère qui vivait dans la misère. Ceux qui la côtoient, la misère, savent bien qu’elle est sans merci, qu’elle s’impose avec dureté, qu’elle restreint avec force la liberté de choisir. Et l’enfant qui s’y trouve en sera lui aussi affecté, plus que l’adulte même, puisque son jeune âge le rend plus vulnérable (rappelons au passage qu’environ 19 % des enfants canadiens vivent dans la pauvreté!).  

Nous voici en présence d’un jeune qui se voit prisonnier d’une réalité qu’il a vécue dans sa petite enfance et qui l’habite toujours. Dans le texte qui suit, nous assistons au moment où il prend conscience que son énergie vitale est mobilisée autour de ce conflit intérieur. D’un côté, il redoute le monde extérieur, il le fuit, ne voulant être confronté à des situations qui pourraient raviver sa blessure; il cherche à se convaincre lui-même qu’il n’est pas fait pour le monde dans lequel il vit. De l’autre côté, il s’apprête à accueillir sa blessure, à la pleurer à fond pour mieux l’intégrer à son histoire. Passage obligé pour transformer une limite en une force et cesser ainsi de se refuser à soi-même…

À ce jeune homme, je voudrais offrir ces mots du poète Rainer-Maria Rilke* :

« Nous avons été placés dans la vie comme dans l’élément qui nous convient le mieux. Une adaptation millénaire fait que nous ressemblons au monde, au point que si nous restions calmes, nous distinguerions à peine, par un mimétisme heureux, de ce qui nous entoure. S’il est des frayeurs, ce sont les nôtres; s’il est des abîmes, ce sont nos abîmes; s’il y est des dangers, nous devons nous forcer de les aimer […]. Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours, qui attendent que nous les secourions. »

Le texte qui suit est inspiré d’un amour brisé entre un enfant et son parent (voir
L’amour et son petit lexique dans cette chronique).

T’espérer

Je ne voulais pas être à l’école
Pour suivre la trace sur un tableau
Des grandes idées et des symboles
Qui se cachent à l’envers des mots
Je ne trouvais pas mes idoles 
En Galilée ou en Rimbaud
Non plus chez l’homme aux paraboles
Qui savait parler aux oiseaux

Je voulais juste que tu reviennes
J’suis resté là à t’espérer 
Je voulais juste que tu m’aimes
J’ai fait de l’espoir mon métier
 
Je n’étais pas fait pour l’usine
Ou les quatre murs d’un bureau
Je ne voulais pas être une machine
Avoir une poignée dans le dos
Ni perdre la vie que j’imagine
Pour faire semblant d’être un héros 
Me voir briller dans mes bottines
Me camoufler sous un sarrau

Mais d’aussi loin que je me souvienne
J’aurais voulu m’émanciper
J’me suis pourtant donné la peine
Mais c’est la peine qui m’a tué
Je n’ai pas pu briser mes chaînes
J’suis resté là, paralysé
J’ai attendu que tu reviennes
J’t’ai attendue, j’t’ai espérée

Je voulais juste que tu reviennes
J’suis resté là à t’espérer 
Je voulais juste que tu m’aimes
J’ai fait de l’espoir mon métier 

 

* Rainer-Maria Rilke, Lettre à un jeune poète, Éditions Bernard Grasset, 1937.

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Révolté

Avec T’espérer (présenté le mois dernier), j’ai abordé le thème de l’abandon vécu dans l’enfance; je poursuivrai dans la même voie aujourd’hui avec l’histoire d’un autre homme au destin malheureux. Cet homme a lui aussi vécu la perte de sa mère, celle-ci n’ayant été présente dans sa vie que durant sa petite enfance. Son père était pour lui un visage inconnu. À la suite du départ de sa mère, il a subi les effets néfastes des placements et déplacements de famille d’accueil en famille d’accueil. Le message qu’il a enregistré au plus profond de lui-même était celui-ci : « je ne vaux pas la peine ». En pareil cas vient souvent la nécessité de construire un solide mur au beau milieu de soi pour se mettre à l’abri de la souffrance. S’impose en effet le besoin de se rendre impénétrable et de mettre tous ses efforts pour colmater les moindres trous et fissures qui pourraient menacer l’imperméabilité de son mur. Chemin qui l’a conduit tout droit vers la criminalité, d’ailleurs. 

On sait que les blessures psychologiques graves créent souvent des distorsions qui rendent l’introspection difficile, voire impossible. Mais, dans son cas, avec le temps, une fragile réconciliation avec lui-même a été possible. Le temps ne répare rien, mais ça prend du temps pour réparer… Du temps et aussi ce mouvement intérieur propre à l’Homme : la conscience de soi. Elle vient souvent avec la parole et les émotions qu’elle colporte.
 

Révolté

J’me suis toujours bin demandé
Pourquoi ma vie était si dure
Pourquoi j’me suis tout refusé
Pourquoi l’amour m’faisait injure
Et puis un jour je l’ai trouvé
Je l’ai trouvé sous mon armure :
Quand t’es parti ça m’a sonné
En dedans y’a eu une cassure

Tu m’as manqué, tu m‘as manqué
Pis moé je me suis révolté
J’ai pas pu m’en empêcher
J’ai pas pu m’en empêcher 

J’ai fait mon temps, purgé ma peine
Mais ma vraie peine, ma vraie blessure
Elle reste en dedans, en dessous ma haine
C’est comme une seconde nature
J’voudrais bin qu’quelqu’un m’apprenne
Comment on se défait de la chiure
Ça fait longtemps que je la traîne
J’me dis : j’vais l’avoir à l’usure!

Mais s’il fallait que je la sorte
C’te maudite peine, maudite misère
Faudrait quelqu’un pour tenir la porte
Parce que ça pousserait en calvaire
T’as pas idée de c’que je transporte
De la rage qui brûle dans mon enfer 
Ça prendrait un crisse de gros truck
Pour charrier ça dans l’univers

Tu m’as manqué, tu m’as manqué
Pis moé je me suis révolté
J’ai pas pu m’en empêcher
J’ai pas pu m’en empêcher 

Avec le temps je l’ai compris
Tu pouvais pas faire autrement
Je sais que toé t’as pas appris
Comment on aime un enfant
C’est en tout cas ce qu’ils m’ont dit
Quand ils m’ont donné d’autres parents
T’étais pas gâtée par la vie
Faut croire que l’amour choisit son camp

Tu m’as manqué, tu m’as manqué
Pis moé je me suis révolté
En dedans j’avais un méchant loup
Qui s’est nourri de mon dégoût
Tu sais quand le loup est trop fort
Y sort ses crocs pis y t’dévorent… 

Tu m’as manqué, tu m‘as manqué
Pis moé je me suis révolté
Avec le temps je l’ai compris
Avec le temps j’m’en suis sorti

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

C’est comme ça que l’on vit 

Au début de ma chronique, dans le texte Vivre de liberté, je vous parlais de l’auteur Alexis de Tocqueville dont l’ouvrage intitulé De la démocratie en Amérique  est paru en trois tomes entre 1835 et 1840. Cet ouvrage est un classique des sciences sociales et politiques en raison de la pertinence de son propos qui, disons-le, demeure toujours très actuel. Alexis de Tocqueville avait saisi qu’une démocratie, pour qu’elle soit réelle et bien vivante, exige de ses citoyens qu’ils soient éduqués, informés, engagés et solidaires, sans quoi elle n’en est qu’un simulacre. Mais les citoyens contemporains, disait-il, « se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs ». Nombreux sont ceux, en effet, qui renoncent à leurs responsabilités citoyennes et optent plutôt pour l’individualisme, la quête du bonheur personnel, oubliant que ce bien-être individuel s’appauvrira à mesure qu’ils se refuseront à leur liberté politique et aux responsabilités qui y sont liées. 

Que disait de Tocqueville à propos de l’individualisme? Il en parlait en ces termes : « l’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui prédispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ». 

Ne sommes-nous pas tous tentés par ce repli sur soi? Repli sur soi qui se mesure non seulement à notre désintérêt pour la « grande société », mais aussi à la hauteur des clôtures que nous élevons sur nos terrains, aux efforts que nous faisons pour éviter nos voisins du regard, à l’ampleur de nos existences virtuelles, que nous préférons souvent à nos liens sociaux bien réels. Chacun devant son écran, épris de divertissement ou d’actualité-spectacle, chacun à refaire le monde à coup de « j’aime » et de « partager », ça ne fait pas de grandes révolutions! 

Que pouvons-nous dire d’autre à propos de la démocratie? Peut-être rappeler ce qu’en disait Woody Allen : « La dictature, c’est ‘‘ferme ta gueule’’, la démocratie c’est ‘‘cause toujours’’ »! 

 

C’est comme ça que l’on vit

Je vois de ma fenêtre
En face sur le balcon
Des voisins qui s’apprêtent
À goûter la saison
C’est l’heure du souper
Ça sent le BBQ
L’odeur de la fumée
Se rend jusque chez nous

C’est comme ça aujourd’hui
C’est comme ça que l’on vit
Comme ça que l’on vit

J’sais pas s’ils sont heureux
Qu’est-ce qu’ils font de leur vie
Peut-être que dans leurs yeux
Quelque chose nous le dit…
Comment j’pourrais l’savoir
On ne s’regarde jamais
Chacun sa tour d’ivoire
Chacun sa petite paix

C’est comme ça aujourd’hui
C’est comme ça que l’on vit
Comme ça que l’on vit

J’pense que je me suis trompé
C’est juste une illusion
C’est pas un vrai quartier
C’est pas des vraies maisons 
J’vis dans un garde-manger
Pas de cieux, pas d’horizons…
J’suis là dans ma petite boîte
Rangé sur une tablette
Si tu veux me connaître
Faut lire sur l’étiquette!

C’est comme ça aujourd’hui
On se ferme, on se replie
On se flatte le nombril
C’est comme ça que l’on vit…

C’est comme ça aujourd’hui
C’est comme ça que l’on vit 
Comme ça que l’on vit

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Mort de rire

Pour contextualiser le thème développé dans Mort de rire, je ne peux trouver mieux que cet article déjà publié dans Le Nénuphar et que je vous invite à lire ou à relire, soit Je le dis donc je suis. En voici un extrait :

 

« La conversation démocratique sera en effet beaucoup plus riche si les interlocuteurs fondent leur discours sur des prémisses qui peuvent être tenues pour vraies et s’ils respectent un tant soit peu les principes d’une démonstration logique. Plus encore le sera-t-elle si chacun s’efforce de rendre le tout lisible et intelligible. Or, de nos jours, sur les réseaux sociaux notamment, on a plutôt l’impression d’assister à une explosion d’opinions qui ont souvent peu à voir avec ce qu’exige une réelle délibération ». 

Mort de rire s’adresse à ces utilisateurs des réseaux sociaux qui publient ou partagent des opinions de toutes sortes sans même se soucier de la véracité des faits qui les appuient. Trop souvent leurs commentaires polluent les débats et nuisent à la conversation démocratique. Par surcroît, les points de vue qu’ils développent vont souvent à l’encontre de leurs propres intérêts. Ils vont même parfois dans le sens des intérêts de ceux-là mêmes qui les oppressent. Nous en avons eu récemment de bons exemples pendant la soi-disant « crise des migrants ».    

 

Mort de rire

Sur la table y’a un gros gâteau
T’en voudrais bien un petit morceau
Mais devant toi quelques convives
Se frottent les mains et puis salivent 
Ils mystifient les décideurs
Les intimident et les apeurent
Ils mettent la main sur le couteau
Séparent en deux le gros gâteau…
Avec l’accord de leurs hôtes
Ils prennent ta part et celle des autres…

On les appelle les « un pour cent »
C’est dans leurs poches qu’est ton argent
Ils ont la moitié de la richesse
Tu dois partager ce qui reste…
T’es impuissant, t’es en colère
Tu penses qu’il n’y a rien à faire…

Et quand ton frère est en besoin
Qu’il vienne de près, qu’il vienne de loin 
Tu le vois comme un malfaisant
Qui s’impose effrontément
Qui vient grignoter un morceau 
De ta maigre part du gâteau
Alors…
Du bout des doigts sur ton clavier
Tu aimeras le condamner
En te servant de cette rengaine 
Typique de ta classe moyenne
Celle du valeureux citoyen
Qui se lève pour gagner son pain
Et qui travaille sans relâche
Et qui malgré tout en arrache… 

Et tu le fais au nom des tiens
Qui soudainement te causent chagrins
Les vieux, les pauvres et les exclus
Les jeunes qui quêtent dans la rue
Ces gens que toi-même tu condamnes
Ou que t’oublies dans les décombres
D’une société qui se mesure
Au nombre de personnes qui carburent
Et qui se donnent au maximum
Et qui produisent et qui consomment
Et enrichissent par le fait même
Ceux qui leur imposent un carême…

Et si l’ennemi que tu cibles
Ne se voulait pas si terrible?
Si lui comme toi était victime
De ces gourmands tout anonymes?

Et si tu tournais ton regard 
Vers ceux qui te volent au départ?
Et si tu réclamais ton dû
Auprès de ceux qui te mettent à nu?

Pendant que tu te presses de haïr
Ceux qui ne vivent que pour souffrir
Les gourmands, eux, sont morts de rire…

Ainsi lisent-ils tes commentaires
Qui ciblent ces gens déjà par terre
Et voient en toi fidèle complice…
Tu leur assures un compte en Suisse!
Car comme le veut leur devise
Ils règnent parce qu’ils divisent…
Alors, disent-ils, tape ton voisin
Nous on s’occupe du butin!

Mort de rire!

Et par surcroît ils le constatent 
Tu n’as vraiment rien de Socrate
Lui qui avait pour apanage
Cette vertu qu’est le courage
Quel courage? 

Cesse d’abord de t’appuyer
Sur des sources sans idées
Qui font de toi colère ou larmes
Au lieu de te fournir des armes
Qui rendent plus intelligent
Et apte à débattre comme un grand

Comprend que solidarité
Est ton devoir d’humanité
Devoir dont t’auras les moyens
Si tu t’efforces de mettre la main
Sur cette part du gâteau
Que t’ont ravie quelques escrocs

Sache cependant qu’un oppresseur 
Ne cède rien dans la douceur… 
Quel courage donc?
Ta vie n’est pas sur ton clavier
Ta vie t’attend… sur le pavé 

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Ton cœur pour deux

C’est l’histoire d’une femme et de sa fille blessées par des amours tyranniques. Une femme qui, s’étant attachée à des hommes passés maîtres dans l’art d’exercer leur domination, a eu une vie amoureuse tumultueuse. Elle craint maintenant que sa fille, ayant été témoin de scènes disgracieuses, en soit affectée et devienne peu encline à « aimer l’amour ». Cette femme est consciente que sa fille devra relever un défi, celui d’ouvrir son cœur… pour deux. Ouvrir d’abord son petit cœur d’enfant encore tout naïf qui, lui, saura peut-être réparer son cœur blessé et méfiant et l’amener à s’ouvrir à son tour.

 

Ton cœur pour deux

J’ai pu te laisser croire
Peut-être sans le vouloir
Que ces hommes têtus
Que nous avons connus
Étaient les rois du monde
Les héros de tes contes

Ma fille, ne t’en fais pas
Un jour tu comprendras
Que s’ils se croient si forts
Que s’ils n’ont jamais tort
C’est qu’ils se sentent petits
Et qu’ils craignent la vie

Ouvre très grand tes yeux
Ouvre ton cœur pour deux
Regarde et tu verras
Il y a un homme pour toi
Il sera beau, il sera tendre
Il saura te comprendre

Quand il viendra vers toi
Tu le reconnaîtras
Il touchera ton âme
Tu te sentiras femme
Et si ton cœur chavire
Surtout ne va pas fuir…
Car l’amour s’amuse
De qui se le refuse…
Même si la vie est bonne
Elle n’épargne personne
De créer son bonheur
À chaque jour, à chaque heure

Ouvre très grand tes yeux
Ouvre ton cœur pour deux
Regarde et tu verras
Il y a un homme pour toi
Il sera beau, il sera tendre
Il saura te comprendre

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Pour vivre ma vie

« Tout le secret de l’éducation est de passer entre les deux écueils de l’autoritarisme et du relâchement. » – Emmanuel Mounier


Vous connaissez probablement ce phénomène relativement récent dont on parle beaucoup dans le monde de l’éducation : le phénomène de l’enfant-roi. Qu’est-ce que l’enfant-roi? Voici ce qu’en dit le psychologue Yvon Dallaire *: 

« Tout enfant naît roi! Seule une éducation laxiste lui permet de le demeurer. L’auteur Gilbert Richer fait toutefois la différence entre deux types d’enfants-rois : le dominateur, lequel possède une pulsion agressive intense, et l’anxieux, lequel est sans cesse à la recherche d’un cadre sécurisant ». L’enfant-roi peut évidemment osciller entre ces deux tendances. 


On reconnaît généralement que le laxisme parental est à la source de ce problème. Sans règles claires, sans un adulte qui « mène la barque », l’enfant se sent à la dérive. Dès lors, ou bien « il panique à bord » et devient anxieux ou bien il cherche à prendre le contrôle de la barque en se disant : « si personne ne gouverne, moi, je vais le faire », ce qui lui donne l’illusion d’un sentiment de sécurité.


Pourquoi ce laxisme est-il présent chez les parents? Plusieurs facteurs sont en cause, mais l’un d’eux est presque toujours en jeu : l’insécurité affective. On verra souvent chez le parent une crainte (souvent inconsciente) de perdre l’amour de son enfant. Sa relation à son enfant se teinte alors de cette crainte de perdre et s’ensuivra tout un rationnel pour justifier ses méthodes éducatives : ne pas traumatiser l’enfant, ne pas le vexer, respecter ses désirs, etc. On voit parfois ce laxisme chez des parents qui, lorsqu’ils étaient enfants, ont reçu une éducation autoritaire ou ont été sous-investis sur le plan affectif. Souvent leur confiance en eux-mêmes s’en trouve affaiblie et ils ne possèdent pas tous les points de repère nécessaires pour devenir à leur tour des guides.


Enfant, l’enfant-roi se sent comme un mini-adulte et veut prendre la place qui, à ses yeux, lui revient légitimement. Il tarde ensuite à devenir un réel adulte : ayant peu confiance en lui, il craint la vie, la vie affective surtout. Acquérir de l’autonomie affective peut lui paraître difficile.


L’enfant qui vous parle dans le texte Pour vivre ma vie désire recevoir le cadeau d’une éducation qui lui facilitera la tâche, une éducation qui donne la juste mesure. 
 

Pour vivre ma vie

Pour vivre ma vie
J’ai besoin d’un toit
Et dans ses alentours
Des petites choses utiles
Pas trop
Juste ce qu’il faut 
Pour dormir tranquille
Et rendre chaque jour
Un peu plus facile

J’ai besoin d’un toit…
Mais aussi que toi  
Tu sois dans ma vie
Écoute bien ceci

Pour vivre ma vie
J’ai besoin de toi
De toi en émoi
Qui me regarde grandir
Pas trop
Juste ce qu’il faut 
Pour que sous tes yeux
J’apprenne à sourire
À ce qui me rend heureux

J’ai besoin de toi…
Mais aussi que toi
Tu vives ta vie
Écoute bien ceci
 
Pour vivre ma vie
J’ai besoin que toi
Tu vives la tienne
Il faut que j’apprenne…
Je devrai partir 
Être et devenir
Me souvenir de ton sein
Me souvenir de tes mains…
Mais je devrai partir
Et prendre à mon tour
Les chemins du désir
Les chemins de l’amour

 

*À propos de l’enfant-roi :


Selon le psychologue Yvon Dallaire, l’étude la plus complète de la personnalité de l’enfant-roi est probablement celle réalisée par le psychologue Gilbert Richer dans son livre Par le bout du nez. La psychologie de l’enfant-roi et la compétence parentale, publié aux éditions Option Santé.

Tapez les mots « enfant-roi » sur votre moteur de recherche et vous trouverez de nombreux articles sur le sujet.
 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Elle et lui

Elle et lui parle de la vérité (elle) et du mensonge (lui). Plusieurs études en psychologie ont démontré que les êtres humains ne passent que très peu de temps dans une journée sans mentir : se mentir à eux-mêmes, d’abord, pour maintenir une image positive de ce qu’ils sont, et, bien entendu, mentir aux autres, si ce n’est qu’un tout petit peu, pour préserver leurs relations sociales. 

Des chercheurs en sciences sociales affirment de leur côté qu’une société sans mensonges ne pourrait pas fonctionner. Ils émettent l’hypothèse que le mensonge remplit en quelque sorte une fonction de « liant social ». De fait, trop de vérité pourrait provoquer beaucoup d’isolement ou encore inciter à la violence. La vérité serait donc une lumière trop intense pour que nous puissions la supporter. Mais probablement que trop de mensonges nuit tout autant à la vie en société! Qui se sent constamment dupé ne devient-il pas rapidement désabusé? Le mensonge à grande échelle, bien orchestré par la pratique des « relations publiques », ne conduit-il pas lui aussi à une rupture du lien social? Le repli sur soi et le cynisme ambiant ne sont-ils pas des manifestations de cet abus de confiance  envers nos institutions et envers ceux et celles qui les représentent?

Cela dit, reconnaissons que tous les êtres humains sont susceptibles de mentir ou, à tout le moins, de manipuler la vérité avec peu de précautions! Mais certaines circonstances de la vie appellent la vérité, comme si elle seule pouvait rendre justice au réel et au mouvement de la vie. 
 

Elle et lui

Lui, il est toujours présent
Elle, elle vient de temps en temps
Il s’appelle « mensonge »
Il règne sur ce monde
Elle s’appelle « vérité »
Elle tranche comme l’épée
Les deux trouvent leur sens
Selon les circonstances…

Lui, lui… 
J’y ai souvent recours    
Un peu à chaque jour
Je le sais efficace
Pour ne pas perdre la face
Pour duper mon patron
Et gravir les échelons
Pour mener en sourdine
Une vie clandestine
Pour vivre ma déchéance 
Avec une bonne conscience…

Mais elle, elle…
Elle est d’un bon secours
Quand viennent les mauvais jours
Quand l’angoisse me harasse
Quand la peur me terrasse
Quand j’suis mal dans ma peau 
Quand l’amour fait défaut
Quand mon âme s’est perdue
Quand je n’ai plus d’issues 
Quand j’veux briser mes chaînes
Quand la mort dégaine… 

Il est toujours présent
Elle vient de temps en temps
Il s’appelle « mensonge »
Il règne sur ce monde
Elle s’appelle « vérité »
Elle tranche comme l’épée
Les deux trouvent leur sens
Selon les circonstances…

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Le temps de partir

« Si un jour nous vivons
Dans un monde nouveau
Se pourrait-il qu’au vocabulaire
On bannisse le mot PERDRE?
Je n’ai pas l’humilité nécessaire
L’humilité requise pour ne pas mal PERDRE »

– Daniel Bélanger (Perdre - de son album Paloma)

« La raison d’être de la mort, c’est de faire place à la vie :
Le bouton éclate pour donner la fleur
La fleur s’étiole pour donner la semence
La semence pourrit pour la germination
Perpétuel mouvement de la mort et de la vie, d’obscurité et de lumière ».

– Jean Monbourquette (Aimer, Perdre, Grandir)
 

Il y a cinq ans, ma mère nous quittait à l’âge vénérable de 94 ans. Pour un autre monde? Pour se fondre au néant? Pour s’éteindre et ne plus être tout simplement? Je n’en sais rien…

Je sais cependant qu’elle m’a laissé ce qui compte le plus pour aborder la vie avec philosophie : une volonté de vivre, un désir d’aimer, bref, ce qu’il me faut pour toucher un coin du ciel tout en ayant les deux pieds bien posés au sol. De ce petit boom boom qui résonnait au milieu de son corps émergeait quelque chose comme une aptitude au bonheur…

Le temps de partir

Elle était encore là

À bercer ses souvenirs

Le siècle sur les bras

La mort dans la mire

Puis un jour de temps froid

N’en pouvant plus de vieillir

Son corps lui rappela

Qu’il était temps de partir

 

Le temps de partir

Pour ne plus revenir

Ne plus revenir

 

Sans elle la maison

À son tour expirait

Étranges émotions

Que celles qui dormaient

Sous les vieux édredons

Et parmi tant d’objets…

Abondante moisson

De bonheurs, de regrets

 

La maison était vide

Nos mémoires… fatiguées

Ne restaient que des bribes

De nos lointains passés…

Puis retour impassible

À nos vies occupées

Mais elle, invisible,

Habite nos pensées

 

Le temps de partir

Pour ne plus revenir

Le temps de partir…

Et de laisser partir

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Un peu de monnaie

Pour aider les personnes qui vivent dans la misère, vaut-il mieux faire de la politique que faire la charité? Je suis de ceux qui croient, comme le philosophe Comte-Sponville*, qu’aux problèmes sociaux doivent d’abord correspondent des solutions sociales et des actions politiques. Mais cela ne dispense pas, dira aussi le philosophe, « […] d’avoir à l’égard des pauvres ou des exclus une attitude de proximité fraternelle, de respect, de disponibilité secourable, de sympathie, bref de compassion ». Il est vrai que la compassion n’a pas toujours bonne presse de nos jours, et cela sans doute parce que nous la confondons souvent avec la pitié. À ce propos, le philosophe apportera cette distinction : 

« La pitié s’éprouve de haut en bas. La compassion, au contraire, est un sentiment horizontal : elle n’a de sens qu’entre égaux, ou plutôt, et mieux, elle réalise cette égalité entre celui qui souffre et celui, à côté de lui et dès lors sur le même plan, qui partage sa souffrance. Pas de pitié, en ce sens, sans une part de mépris; pas de compassion sans respect ».

Compatir, c’est ressentir la souffrance de l’autre et agir pour l’en soulager, dans un esprit de partage. Vue sous cet angle, la compassion peut tout autant motiver des actions politiques que des gestes individuels. Les liens sociaux n’en seront que plus forts si les deux formes d’aide peuvent coexister. Par ailleurs, laisser aux seuls individus le soin de prendre en charge le sort des plus démunis, comme le veut la tendance (néolibéralisme oblige!), m’apparaît comme une option douteuse sur le plan éthique. 

 

« Monsieur, monsieur, s’il vous plaît, auriez-vous un peu de monnaie? », ce sont ces mots entendus sur la rue qui m’ont inspiré le texte qui suit. Ces mots, mais aussi le ton désespéré du jeune homme qui les prononçait.

Un peu de monnaie

De la vie… j’ai reçu

Mon cœur se souvient

Je marche dans la rue

Et je regarde au loin

Lui… si peu reçu

Sa mémoire s’abstient

Sa maison c’est la rue

Sa vie tient dans sa main

 

Monsieur, monsieur, s’il vous plaît

Auriez-vous un peu de monnaie…

 

D’une main moi… je donne

Et de l’autre… je prends

Chez moi l’amour foisonne

Et je choisis librement

Lui… son cœur frissonne

D’une main il dépend

De l’autre il se cramponne

Au regard des passants

 

Monsieur, monsieur, s’il vous plaît

Auriez-vous un peu de monnaie…

 

Ma main dans un élan

Soulage son ventre creux

Heureux un bref instant

Puis il baisse les yeux

Son corps bien trop souffrant

Son cœur triste et honteux…

Comme il doit être pesant

Le dur destin des gueux

 

Monsieur, monsieur, s’il vous plaît

Auriez-vous un peu de monnaie…

* André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, chapitre 8 : La compassion

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Je suis une femme

Il a vu dans mes yeux
Que j’allais embrasser
Le côté du silence
Qui se fout d’être aimé

– Salomé Leclerc

Vous qui aidez les femmes victimes de violence conjugale, vous qui êtes empathiques, respectueuses, patientes et qui les accompagnez sur le chemin de leur libération avec générosité, vous arrive-t-il de vous permettre de vous sentir gratifiées d’accomplir un tel bien? Vous vous dites peut-être « c’est mon travail et je m’efforce de bien le faire, c’est tout! ». Ne pas s’en enorgueillir, c’est très bien! Après tout, cette libération revient d’abord à celles qui cheminent douloureusement pour l’atteindre. Mais être consciente que votre aide est précieuse, pourquoi pas? 

Sachez que grâce à votre aide, plusieurs femmes qui se libèrent de la violence conjugale peuvent dire ceci : 
 

Je suis une femme

Il m’a fallu me perdre
M’éloigner de ma vie
Marcher dans les ténèbres
Et tomber dans l’oubli

Il m’a fallu m’éteindre
Fléchir en silence
Subir sans me plaindre
Ignorer ma souffrance

Il m’a fallu ta main
Pour trouver le courage
De le quitter enfin
De sortir de ma cage

Ce que tu vois dans mes yeux
Ce que tu entends quand je chante
C’est la chaleur du feu
Qui brûle dans mon ventre
J’ai retrouvé mon âme
Je suis une femme

Il m’a fallu revivre
M’aimer tel que je suis
Aimante ou agressive
Mais d’abord en vie 

Il m’a fallu apprendre
À dévoiler mon être
À aimer les mots tendres
À croire en ma quête

Il m’a fallu pleurer
Mes peines et mes joies
Pour enfin libérer
La femme que tu vois

Ce que tu vois dans mes yeux
Ce que tu entends quand je chante
C’est la chaleur du feu
Qui brûle dans mon ventre
J’ai retrouvé mon âme
Je suis une femme

 

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

La petite bonté

Dans mon article intitulé L’amour et son petit lexique, je vous ai parlé de cet amour universel que les Grecs appelaient l’agapè, un amour bien loin de celui auquel nous faisons référence la plupart du temps. Il s’agit de cet amour « gratuit, qui est pure douceur et qui se vit dans l’oubli de soi », nous dit le philosophe Comte-Sponville. J’ai écrit ce texte intitulé Aimer en pensant à tous ceux et celles qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour aider les autres « sans motif, sans intérêt, et même sans justification » pour reprendre encore les termes du philosophe. Je pense notamment à des gens comme Gilles Kègle, celui qu’on appelle « l’infirmier de la rue », qui œuvre auprès des plus démunis du quartier St-Roch à Québec. Je pense à tous ces gens qui nous rappellent que c’est dans sa « petite bonté » que l’homme exprime réellement son humanité.

 

« La petite bonté », c’est le titre d’un texte de l’essayiste Bernard Émond paru dans la revue Relations en décembre 2013 et réédité en 2017 dans son magnifique petit bouquin intitulé Camarade, ferme ton poste - et autres textes (quel beau livre! soit dit en passant). Qu’est-ce donc que « la petite bonté »? Que peut-elle pour nous?

 

Émond traite de cette idée en faisant référence aux réflexions de l’un des personnages du roman Vie et Destin de Vassili Grossman, roman vu comme l’un des plus grands livres du siècle. Ce personnage, Ikonnikov, vit l’horreur des camps de concentration et, à travers ses dialogues avec ses camarades prisonniers, il s’interroge sur ce qu’est le bien. Il constate que l’idée de bien est variable selon les points de vue et il réalise surtout que cette idée dévie souvent de sa trajectoire lorsqu’elle est érigée en système. C’est ainsi que le christianisme, doctrine de paix et d’amour, a fini par aboutir à des guerres de religion, que le communisme, idée généreuse, est devenu dictature, etc. Mais à côté de ce « grand bien » qui finit par faire plus de mal que de bien, il y a justement « la petite bonté » qui, elle, demeure invincible. L’auteur du roman la décrira comme suit :

« Il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté de tous les jours. C’est la bonté d’une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté du paysan qui cache dans une grange un vieillard juif […] ». 

« Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du religieux et du social. Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée et occasionnelle, sans idéologie, est éternelle […] ». *

*Tiré du texte « La petite bonté », du livre de Bernard Émond mentionné plus haut, publié chez Lux – Lettres libres.

Aimer

Il marche dans la rue

Regarde les visages

Des visages perdus

Dans leur peine, leur rage

Le voilà qui s’émeut

Devant ces corps qui tremblent

L’amour vit dans ses yeux

Bien plus que dans les temples

 

Aimer, aimer, encore aimer

Aimer, aimer, toujours aimer

 

Il marche dans la rue

Regarde vers le ciel

Les étoiles ne sont plus

Que de petites chandelles

Mais lui, le cœur ouvert

Amoureux de la vie

Se nourrit des lumières

De ses pas affranchis

 

Aimer, aimer, encore aimer

Aimer, aimer toujours aimer

 

Il marche dans la rue

Surgit comme un soleil

Éveille de sa venue

Des bonheurs qui sommeillent

Il tient l’humanité

Pour la plus haute valeur

Et ne veut exister

Que s’il réchauffe les cœurs

 

Aimer, aimer, encore  aimer

Aimer, aimer, toujours aimer

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Les yeux sont trop bavards

Vous tentez peut-être de trouver l’âme sœur au moyen d’une « application » conçue à cette fin? Ces nouveaux outils facilitent certainement la prise de contact, mais la rencontre, elle, demeure toujours soumise aux règles de jeu habituelles : affinité, désir, appel d’un amour possible doivent être au rendez-vous, sans quoi la vérité finit par s’imposer d’elle-même et, souvent, dès les premières minutes de la rencontre. Les yeux sont généralement les premiers lanceurs d’alertes, ce qui nous fait dire, à juste titre, que le regard ne ment pas… 

Voici un texte qui décrit une situation dont j’ai été témoin dans un café : deux jeunes soupirants se rencontrent grâce à l’utilisation des réseaux sociaux; d’abord nourris d’espoir, ils seront bientôt plongés dans une amère déception. 
 

Les yeux sont trop bavards

Ils se pointent à l’entrée

Se cherchent l’un et l’autre

Commandent un café

S’assoient puis se vautrent

Ils se sont rencontrés

Sur les réseaux sociaux

Nouvelle réalité

Beaux profils, belles photos

 

Sont tout en courtoise

Sont tout en gentillesse

Épatent la galerie

Évitent la controverse

Elle lui parle de la vie

Et lui de ses prouesses

Amusante comédie

Avenir sans promesses

 

Les yeux sont trop bavards

Ils disent tout sans détour

Plus encore, plus encore

Quand ils parlent d’amour

 

Devant le ridicule

S’impose la prudence

Ils cherchent la formule

Pour taire ce qu’ils pensent

Font de savants calcules

Sauvent les apparences

Mais leurs yeux incrédules

Admettent l’évidence

 

Voilà que discrètement

Elle regarde sa montre

Et lui presque content

Ne perd pas une seconde

De la main qu’il lui tend

Il met fin à la ronde

Sonne encore le temps

D’un espoir qui s’effondre

 

Les yeux sont trop bavards

Ils disent tout sans détour

Plus encore, plus encore

Quand ils parlent d’amour

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
39714212_s.jpg

Jour et nuit

C’est avec ce texte que je mets fin aujourd’hui à la chronique Un oiseau dans ma cour. Merci à tous mes lecteurs, merci au Nénuphar.

 

 

Nous sommes faits d’ombre et de lumière, mais nous aimons bien croire que seule la lumière nous définit. Entendons par « lumière », ce côté reluisant qui suscite l’approbation des autres ou qui répond aux normes de ce « petit juge » qui vit en chacun de nous. 

 

L’ombre, elle, c’est cette partie de notre personnalité que nous nous refusons à nous-mêmes, souvent parce que nous avons compris qu’il valait mieux la réprimer pour ne pas perdre l’affection des personnes importantes dans nos vies (menace plus souvent imaginée que réelle, mais c’est ainsi!). Cette partie de nous-mêmes, nous avons appris à la juger « inférieure » ou « négative » et, pour nous en défendre, pour éviter de la regarder en face, nous l’enfouissons dans la nuit de notre être, estimant qu’elle ne mérite pas de vivre au grand jour. Par un mécanisme de clivage, nous instaurons en nous un mur séparateur qui définit ce que sera, d’un côté, le bon gars, la bonne fille, et de l’autre, le méchant, la méchante. C’est ce qui se trouve de l’autre côté du mur, l’inacceptable à nos propres yeux, qu’on appelle « l’ombre ».

 

Cette ombre, qui demeure souvent inconsciente (à moins que nous nous efforcions de perforer le mur), nous avons tendance à la projeter sur les autres (ils sont comme-ci, ils sont comme ça, mais nous, jamais!). Ce principe de projection, que nous croyons comprendre depuis peu grâce à la psychologie moderne, est pourtant compris depuis longtemps, et il est d’ailleurs présent dans plusieurs textes appartenant à la tradition philosophique et à la tradition religieuse. On a qu’à penser à la parabole de la poutre et de la paille : il est plus facile de voir la paille dans l’œil de l’autre que la poutre dans notre propre œil.

 

Essayez de vivre sans jamais prendre conscience de votre ombre et vous vous verrez pris d’un mal-être (ennui, angoisse) voire d’un malaise (ce que Freud appelait la névrose). Être ou paraître? Le texte suivant énonce ce dilemme.

Jour et nuit

Il est vrai qu’être

Peut mal paraître

Mais l’ennui

C’est qu’à ne paraître

Je m’ennuie

Quelle vie

Quand on s’ennuie!

 

Sans nuit

Sans l’ombre d’une nuit

N’affichant que figure

Du meilleur de mes jours

Refusant les aveux

De mon cœur malheureux

Qui sans cesse se défile

Alors que se faufilent

De si sombres envies

Dans l’épaisse fêlure

De mes brillants discours

 

Que vienne la nuit

Que vienne la vie

La vie vraie

Avec son blé et son ivraie

© L’utilisation des textes se fait avec la permission de l’auteur.
Veuillez écrire à Guy Pilote à pilote.guy@gmail.com.
Description de toutes les chroniques.jpg
bottom of page