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Une proposition

Chère amie,

Aujourd’hui, je tiens à t’exprimer ma gratitude. Mais pourquoi donc, me diras-tu? Eh bien, je veux que tu saches que les belles discussions que nous avons eues, toi et moi, lors de mon passage dans ton magnifique coin de pays, n’ont pas été vaines. Elles ont éveillé chez moi une curiosité et un désir de mieux comprendre l’humain et le monde qu’il s’invente. Tu te souviens de ces discussions? Nous étions tous les deux habités par cette forte impression que ce monde n’était pas fait pour nous. Enfin, une partie de ce monde… Nous partagions ce sentiment que la productivité, la rapidité, la performance, le bien-paraître sont devenus les nouveaux absolus. Nous refusions que notre bonheur tienne à nos exploits professionnels, aux biens que nous possédons, aux richesses que nous accumulons. Ah! Comme c’était agréable de refaire le monde avec toi! Notre monde à nous serait bien différent n’est-ce pas? Il ne se mesurerait pas à l’étendue de nos ego, disions-nous. Et le temps serait notre allié. Un temps qui passe pour « être », pour « contempler », et pas forcément pour « faire », toujours « faire » et le faire vitement…

Depuis notre rencontre, j’ai lu plusieurs ouvrages qui m’ont aidé à raffermir mes convictions. Je devrais plutôt dire : nos convictions, n’est-ce pas? Oui, mon amie, je crois que nous avons raison de dire que notre société, toute tournée vers l’extérieur qu’elle est, n’arrive pas à nourrir l’âme humaine dans son essence même. Écartons l’idée que nous ne sommes que des rêveurs. Et si nous le sommes, eh bien, rêvons tout haut! Rêvons et contribuons à l’édification d’un monde qui saura combler notre besoin d’intériorité.

J’ai maintenant envie de te faire une proposition. Si tu le veux bien, je pourrais t’écrire de courtes lettres afin de partager avec toi le fruit de mes lectures et de mes réflexions. Je sais que tu es très occupée et que tu as peu de temps pour te consacrer à la lecture. Du moins, à ce genre de lecture, un peu philosophique. Je veux donc partager avec toi les profits de ce temps précieux dont je jouis depuis quelques années. Et moi, je bénéficierai de ta grande réceptivité et de ton ouverture d’esprit. Ce n’est pas rien! Tu verras, il n’y aura dans ces lettres rien d’étranger à ce que nous sommes, toi, moi et tous ces gens qui voyagent dans ce train infernal qui nous amène on ne sait où…

Te connaissant, mon amie, je suis certain que tu comprends bien mon intention. Pas question ici de te faire la leçon, comme si je détenais la vérité. Pas de solutions miracles, pas de recettes magiques. Je ne suis pas de cette école. Je suis plutôt motivé par un désir d’établir avec toi un lien qui nous aidera à enrichir mutuellement nos réflexions sur ce monde et sur l’humain qui l’habite. Un lien de tête et de cœur, car nos vies boitent dès que l’un ou l’autre de ces deux organes se retire.

Tu crains peut-être que mes lettres puissent nourrir un certain pessimisme? Au contraire, elles seront réconfortantes! Plus que jamais les gens se questionnent sur le sens de la vie, de leur vie. Savoir que nous ne sommes pas les seuls à vivre un certain mal-être dans cette société, pouvoir rassembler les mots autour de ce qui cloche, c’est déjà le début de quelque chose… Quelque chose comme l’espoir, peut-être.

Si tu acceptes ma proposition, chère amie, j’aborderai, dans ma prochaine lettre, un sujet que nous avons effleuré lors de notre dernière conversation. Nous nous questionnions, tu te souviendras, sur cette étrange lubie que nous avons, nous, les humains, qui consiste à vouloir sans cesse repousser nos limites, et cela au risque de notre propre péril. Pourquoi sommes-nous incapables de nous soustraire aux forces aveugles de cet instinct de dépassement qui nous habite et qui nous pousse au « toujours plus haut, plus loin, plus vite, plus fort, plus riche »? Ce désir semble profondément ancré dans l’âme humaine. Peut-être connais-tu ce mythe grec racontant l’histoire de Dédale qui, voulant fuir la Crète où il était prisonnier, fabriqua des ailes avec des plumes et de la cire afin de filer par la voie des airs avec son fils Icare. Il mit son fils en garde contre les dangers de s’approcher trop près du soleil, sachant qu’une chaleur intense risquerait de faire fondre ses ailes. Mais Icare, ébloui par la beauté et la grandeur de ce qu’il voyait, et grisé par son sentiment de puissance, oublia la mise en garde de son père, se brûla les ailes et termina sa course dans la mer où il se noya finalement. Son désir de dépassement l’a tué! (ma mère disait souvent : « l’ambition fait périr son maître »!) N’est-ce pas ce qui guette l’humanité actuellement? Dans son beau petit livre intitulé La fureur de vivre , l’astrophysicien Hubert Reeves s’interroge sur les conséquences de ce brûlant désir qui pousse l’humanité au dépassement incessant de ses limites : « Une si belle histoire (l’évolution humaine) est-elle condamnée à se terminer stupidement? L’humanité est-elle en mesure de s’adapter à elle-même? ».

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Aujourd’hui, les neurosciences avancent certaines hypothèses concernant ce désir insatiable de dépassement. Certaines réponses se trouveraient au cœur même de notre cerveau. Quel est donc ce mécanisme qui pousse notre cerveau à en demander toujours plus? Est-il possible de ralentir son activité pour mieux s’adapter aux circonstances actuelles? Si nous comprenions mieux ce mécanisme, peut-être pourrions-nous apprendre à nous maîtriser nous-mêmes; peut-être serions-nous capables aussi de ralentir le mouvement de cette grande chaîne de la vie socioéconomique (produire, vendre, consommer effrénément… et jeter) qui semble nous conduire tout droit vers un mur. Sujet fascinant, n’est-ce pas? Qu’en dis-tu?

Amitiés,

Guy

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