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Y a-t-il un sens à l’horizon?

Chère amie,

Quel plaisir de savoir que tu as apprécié ma lettre du 5 novembre dernier malgré la saveur plutôt théorique de son contenu. Je suis conscient qu’en abordant le sujet sous cet angle, je risquais de perdre ton intérêt, toi qui sais si bien saisir la réalité de manière sensitive et intuitive. Mais je te sais curieuse et c’est pourquoi j’ai osé cette envolée théorique. Tu m‘as souvent dit qu’il ne faut pas craindre les nouveaux mots, n’est-ce pas? Il est vrai que les mots que l’on ne connaît pas peuvent parfois nous faire peur. J’ai développé une méthode simple pour surmonter mes craintes : j’aborde tout nouveau mot en trois étapes. La première étape, que j’appelle « l’apprivoisement », consiste à le prononcer correctement, syllabe par syllabe; ensuite j’en cherche la définition en me référant à un dictionnaire; et, pour finir, je cherche à en comprendre le sens dans le contexte où il est utilisé. Ne reste qu’à me réjouir… parce qu’un nouveau monde vient de s’ouvrir à moi! 

Aujourd’hui, mon amie, je reviens avec ce M. Bohler dont je t’ai parlé dans ma lettre précédente. Tu sais pourquoi j’ai tant aimé cet auteur? Mon admiration tient à ceci : en sortant la science des laboratoires, il permet au public d’être au fait de connaissances qui pourraient bien être salutaires pour la suite du monde. Noble mission que celle des vulgarisateurs! De plus, j’aime le fait qu’il ose philosopher. De fait, il n’y a pas que de la pure science dans son propos. Derrière son rigoureux travail de chercheur, on voit toujours se dessiner une forte préoccupation pour le sort de l’humanité. Il ne se contente pas de produire de la connaissance, il se positionne aussi comme un chercheur de sens. Il le démontre d’ailleurs avec éloquence dans son bouquin intitulé Où est le sens? dont je te parlerai aujourd’hui. Dans ce livre, Bohler établit un pont entre, d’une part, ce qui se passe dans les méandres de notre cerveau (la partie qui « donne du sens » est en souffrance, te disais-je dans ma dernière lettre) et, d’autre part, le modèle d’économie libérale que nous valorisons tant dans nos sociétés occidentales. Car, effectivement, ces deux réalités se flattent mutuellement dans le sens du poil! Afin de ne pas dénaturer son propos, je le citerai au sujet des actions que nous devrons entreprendre collectivement pour éviter le pire 

« Parvenir à tout cela [c’est-à-dire arrêter le processus d’autodestruction en cours] nécessitera de s’attaquer à la racine du mal qui détruit la vie, la Terre et l’homme, la machine infernale [c’est-à-dire l’économie libérale] que nous avons créée et qui se nourrit de quatre aliments démoniaques : la compétition, l’accélération, l’incertitude et la consommation. Ces quatre piliers de l’enfer s’entretiennent mutuellement : la compétition entraîne l’accélération des moyens de production, qui génère de l’incertitude pour les individus, lesquels consomment davantage pour apaiser l’angoisse que génère un tel monde. Par chance que nous savons maintenant quel ressort intérieur active tout cela : le cortex cingulaire. Cette partie de notre cerveau qui, sitôt en manque de système de signification, cherche à consommer des biens matériels, tout particulièrement dans les situations d’incertitude, d’accélération et de compétition. On accuse souvent le capitalisme d’être à la source de tous les maux, mais en réalité il n’a fait que se greffer de manière fort opportuniste sur notre système nerveux, lui donnant d’une main le remède au mal qu’il causait de l’autre : l’hypermaté-rialisme comme palliatif à l’incertitude et à la compétition. Un remède, hélas, dont les effets secondaires sont pires que le soulagement premier, créant une véritable addiction au matérialisme » (dans Où est le sens?, 6ᵉ partie).

« Parvenir à tout cela [c’est-à-dire arrêter le processus d’autodestruction en cours] nécessitera de s’attaquer à la racine du mal qui détruit la vie, la Terre et l’homme, la machine infernale [c’est-à-dire l’économie libérale] que nous avons créée et qui se nourrit de quatre aliments démoniaques : la compétition, l’accélération, l’incertitude et la consommation. Ces quatre piliers de l’enfer s’entretiennent mutuellement : la compétition entraîne l’accélération des moyens de production, qui génère de l’incertitude pour les individus, lesquels consomment davantage pour apaiser l’angoisse que génère un tel monde. Par chance que nous savons maintenant quel ressort intérieur active tout cela : le cortex cingulaire. Cette partie de notre cerveau qui, sitôt en manque de système de signification, cherche à consommer des biens matériels, tout particulièrement dans les situations d’incertitude, d’accélération et de compétition. On accuse souvent le capitalisme d’être à la source de tous les maux, mais en réalité il n’a fait que se greffer de manière fort opportuniste sur notre système nerveux, lui donnant d’une main le remède au mal qu’il causait de l’autre : l’hypermaté-rialisme comme palliatif à l’incertitude et à la compétition. Un remède, hélas, dont les effets secondaires sont pires que le soulagement premier, créant une véritable addiction au matérialisme » (dans Où est le sens?, 6ᵉ partie).

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« Sitôt en manque de signification », voilà les mots à retenir dans ce paragraphe. Notre premier défi sera de rompre avec l’idée que notre bonheur tient à la seule satisfaction des désirs de notre ego qui, on le sait, se nourrit de « paraître » et se renforce avec l’usage du pouvoir. Dans cet ouvrage, Bohler nous invite à troquer notre regard nombriliste pour un regard qui nous ferait lever les yeux vers un horizon de sens plus vaste et plus signifiant.

D’aucuns croient qu’il serait impossible de nous entendre collectivement sur ce que devraient être les plus hautes valeurs de la société, celles qui devraient être la mesure de toutes choses et qui auraient le pouvoir de nous orienter vers l’édification d’un monde plus sensé. En effet, il peut paraître illusoire d’espérer un consensus planétaire autour d’idéaux et de valeurs communes dans un monde où le sens est morcelé et « personnalisé ». Eh bien voilà, nous dit Bohler, tôt ou tard, ce consensus planétaire devra se faire si nous voulons assurer la suite du monde. Car sans cette aspiration à un Bien collectif supérieur à tout autre, l’activité de notre cortex cingulaire ne cessera de s’atrophier, laissant ainsi de plus en plus de place à l’activité de notre cerveau primaire, le striatum. Celui-ci, rappelle-t-il, peut nous conduire à tous les débordements, augmentant ainsi les risques que nous commettions des actes d’autodestructions irréparables.

Où donc trouver le sens? Tu te souviens du rôle important qu’a joué le sacré pour favoriser la cohésion des premiers humains (dans ma lettre précédente)? Sacraliser quelque chose, c’est l’élever au rang de « plus haute valeur ». Eh bien, pour Bohler, c’est la Terre elle-même que nous devrons collectivement sacraliser si nous voulons survivre (comme le faisaient déjà ces peuples que nous avons colonisés, soi-disant pour les rendre meilleurs…). Sacraliser la Terre et tout ce qui y vit, tel sera, selon lui, l’horizon de sens vers lequel nous devrons nous orienter. Reconnaissons qu’il eût été moins douloureux de s’y orienter en toute liberté… Mais tout indique que nous le ferons par la force des choses, une fois le nez rivé sur le mur de la désespérance… C’est donc avec résignation et humilité qu’il nous faudra réparer cette déchirure béante que nous avons provoquée entre nous et cette Terre-Mère  à laquelle nous appartenons. 

J’aime l’idée selon laquelle notre espoir ne peut être fondé que sur nous-mêmes. Il y a cependant un prérequis à la naissance de cet espoir : il nous faut la conscience. La conscience, d’abord, que nous sommes vulnérables en tant qu’humanité et qu’une certaine bienveillance envers nous-mêmes s’impose plus que jamais.

Qui d’autres que nous-mêmes peut nous sortir du bourbier dans lequel nous nous sommes enfoncés, n’est-ce pas mon amie? Mais il n’y aura pas de solution miracle. Toutefois, quand on accepte de rompre avec les valeurs sociales ambiantes et que l’on aborde la liberté, le bonheur, la vie elle-même sous un autre angle, de petits miracles peuvent survenir… Si nous allions voir dans cette direction maintenant?

Amitiés!

Guy

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