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Cécile se rend utile

En arrivant chez elle, Cécile écrit à Odile.

 

  Tu te cherches de l’aide pour faire tes commissions?


Odile est occupée à faire à souper et n’a pas vu le message de sa voisine. 


Chaque soir, une femme arrive chez Odile à 16 h et repart à 18 h. Une autre arrive à 21 h et repart à 22 h. Chaque matin, une troisième femme se présente à 7 h et reste jusqu’à 9 h. De 9 h à 16 h et de 22 h à 9 h, Odile est seule. La nuit elle peut ajuster sa position dans son lit électrique, mais doit dormir sur le dos parce qu’elle n’a plus la force de se retourner. Quand elle habitait toujours chez ses parents, sa mère la tournait d’un côté à l’autre aux deux heures, puis sur le dos au petit matin. Mais comme Cécile, Odile avait besoin d’air. Elle s’était donc trouvé un travail de répartitrice dans une compagnie de taxi. Avec son nouvel employeur, elle avait négocié son transport en taxi adapté avant et après ses quarts de travail. Elle n’avait donc jamais eu à justifier ses retards. Par contre, il arrivait souvent qu’elle doive attendre qu’on la ramène chez elle. En se rapprochant du centre-ville, elle n’aurait pas à voyager aussi longtemps. Aussi, dès qu’elle avait pu se ramasser suffisamment d’argent pour deux mois de loyer, quelques meubles de seconde main et une première épicerie, elle était partie. 


Odile venait tout juste de finir de s’installer dans son appartement quand la pandémie de la COVID-19 a été déclarée. Bien qu’elle ait un excellent système immunitaire, ses poumons ne fonctionnent plus qu’à moitié; elle préférait donc éviter de s’exposer inutilement à un virus qui s’attaque principalement aux voies respiratoires et avait demandé à faire du télétravail. Comme ce n’était pas possible, on l’avait installée seule dans un bureau fermé, du genre armoire à balais avec lumière fluorescente pour compenser l'absence de celle du jour. Odile avait dû continuer de prendre le taxi pour rentrer parce que c’était l’hiver et qu’en plus du froid, elle ne savait jamais si les trottoirs seraient déblayés. Une fois la neige fondue, elle s’était mise à voyager à pied.


L’automne suivant, après un court hiatus estival, la pandémie avait repris son souffle et Odile s'était mise à la recherche d'un nouvel emploi. Elle ne pouvait pas s’imaginer passer l’hiver enfermée dans son cagibi. Juste avant la première neige, elle avait décroché un autre poste de répartitrice, cette fois dans un service de soins à domicile.


Avant de s’installer devant son téléviseur pour la soirée, Odile vérifie ses messages et voit celui de Cécile.

 

  En effet. T’as vu ça sur le babillard en bas?
  Oui. Je pourrais le faire, si tu veux.
  C’est pour un après-midi en semaine. J’aime pas magasiner la fin de semaine. Il y a trop de monde.
–   Je pourrais m’organiser avec mon employeur.
–   Sens-toi pas obligée. Je veux pas te mettre dans l’embarras.
–   Pas du tout. Ils cherchent toujours du personnel pour les quarts de fin de semaine.
–   Ça te dérangerait pas de travailler la fin de semaine.
–   Au contraire. Je trouve les fins de semaine tellement longues.
–   OK. Vois ce que tu peux faire. T’as ton permis de conduire?
  Oui. J’ai appris à conduire un tracteur à onze ans!  

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  😲 Ma fourgonnette est pas mal grosse, mais je suppose qu’un tracteur l’est encore plus. Par contre, elle va plus vite.
  Ça va aller.
  OK. Merci!
  J’espère que ça va marcher.
  Moi aussi.
  Je vais texter ma patronne tout de suite, mais elle risque de pas répondre avant lundi.
  Je garder le poste affiché jusqu’à ce que tu me répondes. 😉
  Parfait. 👍

 

Quatre jours plus tard, Cécile frappait à la porte d’Odile, permis de conduire en main.

  As-tu ta carte d’assurance sociale?
  Je connais mon numéro par cœur. Pourquoi?
  Pour mes dossiers. Ça me prend ça pour pouvoir t’inscrire comme nouvelle employée.
  Mais je fais pas ça pour de l’argent. Je veux juste t’aider. Puis ça m’arrange moi aussi.
  Ça va. J’ai des fonds. J’ai tout prévu.
  Mais non! Je veux pas être ton employée. Je veux être ton amie.
  Tu peux être les deux.
  C’est mieux pas.
  T’as raison. Mais si tu changes d’avis, hésite pas à me le dire.
  Je changerai pas d’avis. J’ai apporté mon sac d’épicerie. J’espère que ça te dérange pas que je fasse mes commissions en même temps que toi.
  Non, non. C'est plein de bon sens. Le mien est accroché après mon appuie-tête.
  On va où?
  Au Supermagasin de Saint-Michel. C’est plus loin, mais ils ont un stationnement souterrain et il y a toujours moins de monde.
  Wow! Un stationnement souterrain. C’est pas à Sainte-Rose qu’on verrait ça.


Trois heures plus tard, Cécile et Odile rentrent ravies, les bras chargés et le cœur léger. Ni l’une ni l’autre n’aurait jamais cru qu’il puisse être aussi agréable de faire son marché ni qu’on puisse en apprendre autant d’une personne en aussi peu de temps. 
 

***

Le but de cette chronique est de vous faire découvrir ce qui se passe derrière la porte de différentes personnes handicapées et de vous appeler à l’ouverture et à la solidarité. Cécile frappe à votre porte pour vous inviter à commenter ou à témoigner de vos expériences de vie en tant que personne handicapée ou non. Allez-vous ouvrir?

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