top of page
en-tête.png

Désir, désir!

Chère amie,

Tu l’as sans doute remarqué, la question du désir a constitué jusqu’ici la trame de fond de mes lettres. Difficile de faire autrement quand on veut parler de l’être humain et du sens de la vie puisque l’être humain est par définition un « être de désir ». Sa vie personnelle, tout comme sa vie en société, est largement conditionnée par sa manière de comprendre et d’orienter ses désirs. C’est ce qu’explique admirablement bien Frédéric Lenoir dans son dernier livre intitulé Cultiver le désir et vivre aux éclats. Si tu devais lire un seul bouquin parmi ceux que je t’ai suggérés jusqu’à maintenant, je crois que ce devrait être celui-là! Les idées qui y sont développées collent si bien à l’expérience vécue qu’elles nous deviennent finalement faciles à comprendre malgré leur apparente complexité. 
 

3864884-gf.jpg

Je résume. Nous faisons en fait l’expérience de deux types de désir : le désir-manque et le désir-puissance. Le désir-manque est sans limite, comme l’a démontré ce cher Bolher dont je t’ai parlé au début de notre correspondance. Ce désir, nous voulons le combler comme si nous étions empressés de remplir un trou, un vide. On l’observe dans la passion amoureuse (tu me manques), mais il est aussi présent dans toutes ces envies que nous satisfaisons à répétition, puisque aussitôt satisfaites nous désirons autre chose. Ce type de désir n’est pas mauvais en soi. Il permet à chacun de se constituer un moi, de se tailler une place dans la société, d’obtenir la reconnaissance des autres, d’améliorer sa condition, de vivre les plaisirs de la vie, etc. Mais s’il ne sert que des intérêts égocentriques et qu’il est porté par une insatiable avidité, il nous entraînera dans le labyrinthe du non-sens et de l’étourdissement.

Nous faisons aussi l’expérience du désir-puissance qui, lui, est ressenti comme un élan vital. Ce vide qui nous habite, eh bien au lieu de chercher à le combler, on cherchera plutôt à en extirper une parcelle de nous-mêmes. L’élan vital pousse à la créativité. Il peut devenir le moteur d’une croissance personnelle et d’une évolution spirituelle pouvant conduire à des états de joie profonde. Mais le désir-puissance peut aussi ne se manifester que dans sa forme primaire, par une volonté de dominer plutôt que par un désir de croître, auquel cas il risque de revêtir un potentiel de destruction.

Tout est possible donc! Et voilà la tâche de l’humain : orienter son désir vers ce qui est bon! Pour y voir plus clair, Lenoir explore les différentes façons de « réguler » le désir humain en faisant appel aux philosophes depuis les Grecs jusqu’aux Modernes. Il passe en revue les différentes philosophies qui ont été avancées : renoncement au désir, contrôle par la volonté (modération), détachement, transmutation, dépassement, etc. Comment donc orienter nos désirs de manière à ce qu’ils nous fassent grandir, individuellement et collectivement, telle a été la préoccupation des philosophes. Heureusement, l’être humain dispose d’un formidable outil : la raison. Parce qu’il réfléchit et, surtout, parce qu’il est muni d’une conscience (la conscience a une dimension émotionnelle que la réflexion n’a pas, elle atteint donc une plus grande profondeur), l’être humain est capable de discernement. Cette capacité le rend libre (il est condamné à être libre, disait Sartre), libre d’orienter son désir vers un horizon de sens qui l’élève. Les sagesses de tous les temps nous enseignent que l’arbre qui donne de bons fruits est nourri par ces trois racines : le respect du vivant, le souci de l’autre et la recherche de la vérité. 

Bon, je ne pourrai jamais te rendre en quelques lignes toute la richesse de ce livre. Tu dois le lire!

Au passage, Lenoir fait référence à une philosophe très actuelle, Sophie Chassat, qui a publié Élan vital. Antidote philosophique au vague à l’âme contemporain en 2021. Dans ce bouquin, elle fait appel aux concepts de « biophore » et de « biocide ». Elle définit ces concepts comme suit : « Est biophore ce qui éveille, ce qui stimule et féconde la vie vivante; est biocide ce qui étouffe nos élans vitaux, ce qui détruit la vie. » Il faut apprendre à les ressentir, à les reconnaître en nous et à suivre, en autant que faire se peut, l’élan vital qui nous habite. Cela nous conduit parfois à prendre des risques; je dirais : à prendre LE risque, celui d’être soi, en vérité. Lenoir rappelle que la société, telle qu’elle est orientée actuellement (productivité, compétition, performance, individualisme, consumérisme, etc.) fait souvent pencher la balance du côté biocide… 

Des penseurs biophores, en voici quelques-uns présentés par Lenoir : Spinoza, Nietzsche, Bergson, Jung et… Jésus! Moi qui ai reçu une éducation religieuse, j’ai été bouleversé lorsque, très jeune, j’ai lu deux bouquins de la psychanalyste Françoise Dolto, soit L’Évangile au risque de la psychanalyse et Jésus et le désir. Le message de Jésus interprété par Dolto a peu de choses à voir avec celui que j’entendais sur les bancs d’église! Lenoir, justement, y fait référence. Selon lui, Jésus était en effet un maître de l’élan vital, mais son message a largement été détourné au profit d’une philosophie légaliste aux accents parfois mortifères.

Soyons biophores, mon amie, et connectons-nous à notre élan vital! 

Amitiés,

Guy

LETTRE PRÉCÉDENTE.png
Liste de tous les articles de.jpg
LETTRE SUIVANTE.png
bottom of page