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III – Une croix à porter

Chaque jour qui passe est un jour en moins. Pas d’issue pour cette vie. Aucun moyen d’échapper à son passé, aucune solution pour oublier. Et continuer, toujours aller de l’avant, jamais de pause, jamais de compassion ou de pardon. Aucune pitié dans ce monde où tout avance trop vite et plus rien ni personne n’a le droit de reculer. Alors on fonce, tout droit, là où on croit avec certitude que l’on va bien. Pas le droit de pleurer, pas le droit de se tromper, pas le droit de se laisser aller à la douceur et à la nonchalance, pas le droit de parler de la Mort… La vie ferait-elle peur? Pourquoi finalement accorder autant d’importance à notre plus grand garde-fou? Peut-être parce qu’on oublie trop souvent que c’est une chance de vivre. Et quand on est conscient de cette chance, trop souvent on est hanté par la Faucille.

C’est vrai, tout un chacun est destiné à s’éteindre. Mais le problème n’est pas là. Le problème, c’est qu’il y a différentes façons de partir. Alors, je n’ai plus aucune certitude. Et j’ai envie de le hurler haut et fort à ce Monde qui n’a plus d’âme. Expulser ma rage et la clamer à cette société qui n’a rien compris à la Vie. Face à la souffrance, on ne sait plus consoler ni soigner. On ne connaît que les mots « hôpital » « médicaments », « drogues en tous genres », « somnifères », « psy », « pourquoi ai-je échoué? Pourquoi suis-je une ratée? » Et toutes ces questions qui nous réduisent à l’état de néant. Comme si dans ce monde qui se dit moderne, les maux de l’âme n’étaient plus tolérés. Les interrogations, les doutes et les angoisses n’ont plus leur place.

Alors, je porte ma croix, comme ma mère le fit. Sans un mot, sans un cri, sans un gémissement. Ce n’est plus qu’un mélange de haine et de force qui me hante, silencieuses, redoutables. Plus aucun obstacle ne pourra me freiner dans cette quête de la vérité : savoir s’il y a une vie après la mort. Je n’ai que cette vérité à trouver. Savoir pourquoi j’ai cette chance de vivre et pourquoi du jour au lendemain tout peut s’écrouler. Une vie entière tout à coup à reconstruire avec un vide immense à la place du cœur, un trou noir, béant en guise de futur. Je veux juste savoir, simplement croire que je retrouverai un jour ma mère… Je n’ai pas d’autre issue que de continuer à vivre. À vivre sans elle. Elle n’est plus là. Et je vais devoir faire avec. Ce n’est pas comme si elle m’avait abandonnée. C’est la mort, la maladie, qui nous a séparées. Trop tôt. C’est toujours trop tôt. Elle demeure là, dans mon cœur, mon passé, mon éducation et ma chair. J’entends encore et toujours ses mots dans ma tête. Des mots d’une mère que j’aimais plus que ma propre vie. Maman…

Mais ce n’était plus possible pour elle. Je me souviens de ses grands yeux bleus, son âme, qui me bouffaient du regard. De cette larme qui, avec douleur, coulait sur sa joue pendant que moi je hurlais ma détresse et m’étouffais dans mes sanglots. Et puis plus rien. Un souffle, un râle, un adieu dans la souffrance. Et sa main, si faible, si pâle, si froide, qui m’agrippait et ne me lâchait pas. Mais le crabe a la pince la plus solide et a sectionné notre amour sur cette terre, a tranché la main de ma mère de la mienne. Un crabe qui ronge peu à peu le corps et qui s’immisce partout jusqu’à tout anéantir. Pas seulement une vie… toutes celles autour. Je ne serai plus jamais la même. Une partie de ce que je suis a été emportée avec elle. Tout ce qui avait été dit, tout ce qui avait été amour et espoir, toute mon enfance, tous mes repères, tout s’est tout à coup révélé à moi me laissant ainsi orpheline, face à un potentiel de liberté suicidaire, au bord d’un abîme de solitude. Comme un voile noir qui se déchire et soudain une évidence : le monde est tellement plus accessible que je ne l’imaginais. J’ai compris le fonctionnement de cette existence. Tout le reste n’a plus aucune importance. Cette vie n’a pas de but ni d’exigence, pas de lois, pas de contraintes. Je veux prendre un crayon et dessiner ma vie comme je déciderai de peindre un paysage de désert, puis le compléter chaque jour au gré de mes envies, de mes humeurs. Je ne ressens plus ni peine ni manque. Juste le vide incommensurable. Je trace mon chemin. Je fais ce que je décide de vivre. S’il existe une vérité dans cette vie, je suis alors épicurienne. Je veux profiter de tout ce que je rencontrerai sur mon chemin : un mot, un paysage, un visage, un être, une relation, un amour… Et je ne laisserai personne me diriger et me soumettre ses exigences. Je ne pardonnerai jamais à ce monde tellement absurde et où tout va trop vite.
 

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