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Manuel

 

À 13 ans, il en paraissait à peine 10. 

Manuel était un petit gabarit, aussi fluet qu’il parlait fort, comme s’il voulait compenser son aspect malingre en faisant beaucoup de bruit. Il acceptait mal les contrariétés et se fâchait tout rouge pour le moindre mot de travers. D’ailleurs, même si on ne s’adressait pas à lui, il pouvait s’emporter, s’agiter dans tous les sens afin de marquer son perpétuel mécontentement. 

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Ça avait plutôt tendance à nous faire rire, ce gringalet qui s’énervait pour un oui ou un non et personne, pas plus ses camarades que nous autres enseignants, ne le prenions au sérieux. C’était notre Joe Dalton à nous, celui qu’il fallait régulièrement calmer et comme il ne dépassait guère les 1,45 mètre et les 40 kg, c’était relativement facile. 

Manuel a passé quelques années avec nous, il a enchaîné les colères sans jamais impressionner qui que ce soit puis il a quitté l’établissement. 

 

Nous l’avions presque oublié lorsque nous avons eu de ses nouvelles dans le journal quelques années plus tard, il avait alors une vingtaine d’années.

Il s’était vu refuser l’entrée à une soirée et avait poignardé le jeune homme qui était à l’entrée. Ce garçon avait 17 ans, il était rapidement mort de ses blessures. Une vie fauchée en pleine jeunesse, une famille ravagée par le chagrin, un choc pour l’ensemble des habitants de cette petite ville où j’habitais. Manuel quant à lui a été condamné pour son crime et a passé sa jeunesse derrière les barreaux. Une vie brisée, une autre famille ravagée. 

Le hasard a fait qu’ayant changé d’établissement, j’ai eu pour collègue la sœur du jeune garçon assassiné. Je n’ai bien sûr jamais dit que Manuel avait été l’un de mes élèves ni que ses colères nous faisaient rire parce qu’elles nous semblaient plus ridicules que dangereuses. Mais souvent, j’éprouvais de la gêne, peut-être même un peu de culpabilité de n’avoir vu, pas plus que mes collègues, le danger que représentait ce jeune garçon si nerveux et colérique. 

Aujourd’hui encore, je déplore que l’école n’apprenne pas l’essentiel aux enfants. On apprend à compter, à conjuguer..., mais à quel moment dans l’emploi du temps enseigne-t-on aux enfants comment repérer et contrôler leurs émotions? À supporter la frustration? À observer et à améliorer leurs relations avec les autres? Que faisons-nous pour aider la jeunesse à vivre mieux? Peut-être même à vivre tout simplement? Pas de place, ou si peu, pour apprendre les gestes qui sauvent, l’importance de respecter toute forme de vie, la nécessité de prendre soin de son corps, de son esprit...

À quand la réforme qui enfin fera de l’école le lieu où l’on aide les petits à devenir des êtres humains?

 

L’auteure est enseignante auprès d’enfants en situation de handicap dans la région Grand Est, en Haute-Marne, France.

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