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Aurélia

 

Aurélia avait à peine 10 ans lorsque nous avons commencé à travailler ensemble. C’était une magnifique enfant, toute fine, avec un visage très doux qu’elle cachait derrière ses longs cheveux noirs. 

Je voyais rarement ses grands yeux sombres, car Aurélia ne me regardait pas, pas plus qu’elle ne me parlait d’ailleurs. 

Elle me suivait sans mot dire lors des accompagnements pédagogiques individuels bihebdomadaires, mais elle faisait preuve d’une indifférence, voire d’une hostilité passive, qui rendait les séances pesantes. 

Que le temps passait lentement face à cette élève qui me mettait en échec de semaine en semaine. Rien de ce que je lui proposais ne semblait l’intéresser.

J’avais beaucoup de mal à évaluer son niveau de compétences, je ne comprenais ni la nature ni l’étendue de ses difficultés. J’avais toutefois évidemment repéré, entre autres, de gros problèmes de langage. Aurélia articulait mal, elle disposait de peu de vocabulaire, avait une syntaxe des plus sommaires et le plus souvent, ne parvenait pas à se faire comprendre les rares fois où elle prenait la parole. Ce qui ne faisait que l’enfermer un peu plus dans son

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mutisme… Celui-ci contrastait furieusement avec l’attitude qu’elle avait au domicile. En effet, sa maman nous expliquait régulièrement qu’Aurélia  faisait de grosses colères à la maison, criait, cassait des objets, frappait ses deux petites sœurs, lesquelles étaient idéalisées par toute la famille : elles étaient gentilles, coquettes, travaillaient bien à l’école, allaient régulièrement en vacances chez leurs grands-parents et leurs cousins… Tout le contraire d’Aurélia que personne n’invitait et dont la maman disait que l’internat lui ferait sans doute le plus grand bien… Elle était le vilain petit canard, la petite fille mal habillée et mal coiffée qui cachait sa souffrance dans le mutisme ou les cris, ne sachant comment se faire accepter et encore moins se faire aimer.

Après de longs mois sans noter le moindre progrès, lors d’une séance semblable aux autres où rien ne semblait pénétrer la bulle où elle se cachait, je m’arrêtai de parler au milieu de fastidieuses et vaines explications et j’affirmai à Aurélia avec une assurance sans faille que j’enseignais depuis longtemps et que du fait de mon expérience, j’avais la certitude qu’elle apprendrait à lire. Je n’avais pas le moindre doute, c’était sûr et évident, elle saurait lire. Je le lui affirmais et le lui promettais!

Alors Aurélia a levé la tête, elle m’a regardé pour la première fois dans les yeux et l’ébauche d’un sourire a illuminé son visage.

J’avais fait preuve de beaucoup plus de certitudes dans mes propos que je n’en éprouvais vraiment, mais je l’avais touchée, j’avais gagné.

Dans un film ou un roman, Aurélia aurait appris à lire à une vitesse fulgurante et aurait rattrapé son retard scolaire. Dans la réalité, elle a enfin pris conscience de sa valeur et s’est autorisée à apprendre. Elle a commencé à décoder des syllabes, puis des mots et enfin des phrases. Il a fallu du temps, elle n’a pas rattrapé son retard et est restée dans l’enseignement spécialisé, mais ELLE A APPRIS À LIRE, sésame de toutes les libertés. 

C’est l’un de ces moments magiques qui fait de l’enseignement un métier merveilleux, que de me rappeler ce visage qui s’illumina et cette lumière au fond des yeux qui ouvrait la porte à tous les possibles.

L’auteure est enseignante auprès d’enfants en situation de handicap dans la région Grand Est, en Haute-Marne, France.

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