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Lucas et Bastien

 

Les deux frangins étaient plus que des frères, ils étaient jumeaux, l’exacte réplique l’un de l’autre : deux bouilles rondes parsemées de taches de rousseur, des petits yeux le plus souvent réduits à deux fentes tant leurs rires étaient fréquents et démonstratifs, une silhouette enrobée suggérant la gourmandise et l’amour des bonnes choses.

Ils étaient toujours à portée de main et de voix l’un de l’autre, deux âmes sœurs qui partageaient leurs éclats de rire et tout le reste. 

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Qu’ils étaient drôles les deux frérots! Il y avait toujours une plaisanterie qui planait dans leur sillage, une blague qui provoquait l’hilarité dans leur entourage, une farce pour distraire ceux qui les approchaient… Cela en devenait pénible pour les enseignants qui auraient aimé un peu de calme

pour se faire entendre, car aucune remarque n’entamait ni ne réfrénait la bonne humeur des garçons. 

Quelques profs avaient alors signalé sur les bulletins scolaires du premier trimestre qu’un peu plus de calme et de sérieux seraient les bienvenus… on avait beau les apprécier, ils étaient quand même fatigants nos lascars.

Après réception des bulletins au domicile, nos deux clowns étaient revenus au collège le visage tuméfié, les yeux gonflés et cernés de noir. Le papa avait beaucoup moins d’humour que ses fils et à ses yeux d’homme sérieux, seul comptait le travail. On n’était pas là pour s’amuser, mais pour trimer dur. C’est cela qu’il voulait inculquer à ses enfants et tous les moyens étaient bons pour y parvenir.

D’ailleurs, nous l’apprîmes plus tard, nos deux compères passaient les nuits de week-end et de vacances au fournil¹ avec leur père. C’est finalement à l’école qu’ils se reposaient, qu’ils vivaient leur adolescence avec l’insouciance que cela suppose. Plus jamais nous n’avons évoqué le moindre bavardage, mais le mal était déjà fait.

 

Que savions-nous finalement de ce qu’ils vivaient quand ils n’étaient plus sous notre regard et notre responsabilité? Pas grand-chose à vrai dire et le peu qui nous parvenait laissait présager le pire. De ces deux-là comme de tous les autres, l’essentiel nous était inaccessible et quand bien même nous y aurions eu accès, qu’en aurions-nous fait?

On a beau savoir que derrière l’élève il y a un être humain, on l’oublie parfois tant il nous semble important de boucler le programme. C’est souvent le drame qui nous ramène à ce qui est capital, le malheur qui éclaire ce qui est primordial.

Je ne sais qui de Lucas ou de Bastien est tombé d’un toit à l’âge de 20 ans. Mais je sais que l’un a perdu la vie et l’autre le goût de vivre.

Quand je pense à eux, je les revois à peine sortis de l’enfance, assis côte à côte, partageant leur goûter. Les mots leur étaient inutiles, ils se comprenaient, ils s’aimaient.

¹ fournil : Local où est placé le four du boulanger et où l'on peut pétrir la pâte. (Le Robert)

L’auteure est enseignante auprès d’enfants en situation de handicap dans la région Grand Est, en Haute-Marne, France.
 

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