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IX – Vivre intensément

On m’a confié le jour où j’ai perdu ma mère que j’avais acquis une certaine sagesse. Au début, je suis restée perplexe face à ce constat. J’étais trop sous le choc pour réaliser ce que cela signifiait, ce qu’on entendait par « sagesse ». Aujourd’hui je pense avoir compris. Oui, je le crois. Je ne me suis pas résignée. Je ne suis pas stoïque. Je suis donc sage. Évidemment je souffre de toute cette vie à vivre sans elle, je souffre de son départ, je souffre de sa souffrance. Mais je ne regrette rien. Absolument rien. Ce que j’ai vécu, je l’ai vécu intensément. Tout ce que j’ai de bien, j’en suis redevable à ma mère. Je me sens tout à coup si forte. À la limite de la normale, à la limite de l’humain, à tel point que je me sens soudainement devenue terroriste envers moi-même : plus rien ne peut m’arrêter, plus rien de pire ne pourrait m’arriver… à moins que… toujours ce doute au fond des tripes qui me hante.

Bienvenue dans le monde merveilleux du doute. Où tout est possible et rien n’est sûr. Nous savons juste que nous connaîtrons la mort. Mais n’est-ce pas là aussi l’une des incertitudes les plus pénibles de cette existence? Douter de ce qui reste encore à découvrir… jusqu’à quand? Faut-il mourir pour vivre ou vivre pour finalement mourir? C’est certainement ce qu’avait dû penser Anna, une amie, avant de se donner la mort. J’ai la conviction qu’elle n’assumait pas ce décalage entre ce qu’elle était et le monde dans lequel elle vivait.

J’allais souvent chez Anna. Dans son atelier d’artiste à Antony. J’aimais bien parler avec elle. J’avais le sentiment qu’elle détenait un grand secret, que rien de la vie ne lui échappait : ni ses sens, ni ses bonheurs… On prenait un café brûlant, et on riait. Elle me montrait ses tableaux pleins de lumière et de couleurs, de rires et d’enfance. Je souriais à ces grands yeux qui roulaient comme des billes quand elle était tout excitée, enthousiaste à l’idée d’avoir une nouvelle idée. Les gens qui la connaissaient disaient d’elle que c’était une hystérique. À vrai dire, je n’en sais rien. Je sais juste que cette fille avait quelque chose que nous n’avons pas. Elle était habitée par une espèce de magnétisme, de force et de joie de vivre inouïe. J’aurais voulu lui demander si elle pensait qu’il y avait une vie après la mort. Comment concevait-elle le Paradis? Trois mois après le décès de ma mère, elle se donnait la mort et je perdais une amie pour la première fois de ma vie. Je n’ai pas eu la possibilité de faire le deuil de cette amitié tant mon chagrin me plombait déjà dans un quotidien sans saveur.
 

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