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X – Ma mère, ma grand-mère… et sa mère avant elle

Cela va faire trois nuits que je rêve de ma mère, et chaque fois, elle revient pour me mettre en garde contre quelque chose; je ne discerne pas encore de quoi il s’agit. Elle est toujours accompagnée par mon grand-père. Je la vois omnipotente et puissante, comme une reine qui trône sur un univers.

 

Comment imaginer un paradis, comment concevoir une vie après la mort? Tant de gens déjà morts, tant de malfrats… Peut-on se retrouver parmi cette multitude d’inconnus? Et si cela existe, l’esprit humain ne peut le concevoir. Pourquoi même chercher alors à le concevoir? D’autres imaginent qu’il n’y a rien, que la suite de la vie n’est que le néant absolu, l’inconscience la plus totale comme cela était avant la naissance. On n’aurait donc même plus conscience de ne plus être. Seuls ceux qui restent souffrent du manque, du vide qu’ils laissent et continuent à vivre à travers les souvenirs des autres. Quelle que soit l’option, nous n’avons que le choix de vivre ici et maintenant, accompagnés de l’absence de ceux qui nous avons aimés.

 

J’ai cru un instant que retourner sur la tombe de ma mère me rapprocherait d’elle, que peut-être je la retrouverais. Parmi toutes ces tombes qui l’entouraient, toutes semblables, je n’ai trouvé qu’une pierre qui dissimulait une boîte dans laquelle se décomposait sûrement un corps. Un corps inerte, peut-être déjà un tas d’os. Et là était censée reposer ma mère? Je suis rentrée chez moi désabusée, déprimée. Rien. Pas un signe. Et toujours à côté d’elle, cette autre plaque sous laquelle mon homonyme résidait. Même dans la mort j’avais le sentiment que l’on me volait ma mère, que l’on me spoliait ma place : une autre « Mathilde Gautier » était déjà morte et reposait aux côtés de ma propre mère. Était-ce ce que l’on peut appeler un signe? Une coïncidence? Du hasard? Le destin? Le destin, c’est la fatalité. Il n’y avait aucune fatalité dans ce drame, un pur hasard de mauvais augure, c’est tout. Tout comme ce jour où ma mère est morte : elle est partie le jour de l’Ascension, jour où le Christ est monté au Ciel. Ce jour-là je n´ai ressenti que l’anéantissement le plus total. L’effondrement de tout un bloc de croyances et de certitudes.

 

Ma mère a longtemps regardé le plafond, d’un air terrifié, on lisait l’angoisse, la peur et la solitude dans son regard si bleu. Un bleu limpide et pur… était-ce son âme? Que cherchait-elle? Que voyait-elle? Car ici-bas, c´était l’Enfer. Un Enfer de pourriture, de bile et de cauchemars, où la mort, seule issue, devient un soulagement. Sa force à elle était sa mère. Ces derniers mots furent « je vais revoir Mamie ». Les mêmes que ma grand-mère avait elle-même prononcés quelques jours avant de partir. Et ma mère avait elle aussi cette même expression du visage : c’était de nouveau ma grand-mère que je revoyais mourir dans ce lit d’hôpital, non pas ma mère. Ma mère, je ne sais plus qui elle était. Je n’ai serré dans mes bras qu’un corps qui n’était plus qu’abnégation et douleur. Ma souffrance c’est d’avoir tout oublié : je ne sais plus comment c’était avant la maladie.

 

La plus grande limite à la liberté est celle de l’esprit. Tout ne me semble que truismes, redites et logique. J’aimerais aller au-delà de ce que nous pouvons penser et découvrir quelques vérités cachées. Ne plus me restreindre à une simple logique cartésienne et ne plus me cantonner à des évidences. Seule l’écriture me permettra d’accoucher de nouveau de cet amour : recouvrer la mémoire, suspendre un instant mon amnésie, tout retracer pour mieux tout revivre et me souvenir. Me souvenir d’un passé qui me semble ne pas être le mien, qui appartient en définitive à quelqu’un d’autre que moi-même. Mon passé appartient à la personne que j’étais avant que ma mère ne parte.

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